Suite à l’amendement sur le reste à charge pour les personnes souhaitant se former via le CPF, nous avons interrogé l’UNSA sur l’avenir du CPF et les enjeux de la formation professionnelle en 2023. Vanessa Jereb, Secrétaire générale adjointe UNSA a pris le temps de nous répondre.
Avant de répondre à nos questions sur l’avenir du CPF, Vanessa Jereb, Secrétaire générale adjointe UNSA a tenu a rappelé les engagements de l’UNSA en matière de formation professionnelle :
« Si la réforme de 2018 a bouleversé l’écosystème, la gouvernance et le financement de la formation professionnelle, force est de constater que nos réserves de l’époque demeurent en 2022 d’actualité notamment sur le financement, la gouvernance de France compétences, le manque d’approche territoriale, les limites du Compte personnel de formation (CPF)…
L’UNSA est attachée à la défense de la liberté de « choisir son avenir professionnel »par un libre arbitre des actifs sur leur choix de formation. L’UNSA défend le concept de formation tout au long de la vie. Pour autant, cela ne doit pas exclure les actions de formation qui participent à l’épanouissement personnel. En effet, au nom d’un adéquationnisme formation / emploi, assumé par l’exécutif et défendu par les employeurs, il y a un risque de dérive de la philosophie du CPF. Celui-ci devenant davantage un compte professionnel de formation. L’UNSA est en désaccord avec cette tendance. »
2022 peut être vue comme l’année où le CPF s’est pleinement déployé… mais aussi où les arnaques au CPF ont explosé donnant une image négative du dispositif. Qu’en pensez-vous ? Quel bilan tirez-vous de la formation professionnelle en 2022 ?
En effet, à la sortie de la crise sanitaire, plusieurs facteurs ont certainement contribué à une demande croissante de mobilisation du CPF : d’une part, la volonté des actifs de changer d’emploi, suite à une période de confinement et d’incertitudes et d’autre part, des tensions de recrutement dans certains secteurs considérés peu attractifs en termes de salaires, conditions de travail (par exemple l’hôtellerie – restauration). Ces éléments ont incité les personnes à réfléchir et à se questionner sur leur avenir professionnel et in fine à s’engager dans un parcours de formation.
Par ailleurs, le passage du CPF monétisé et l’absence d’intermédiation avec une application à « portée de mobile » ont conduit à une multiplication des arnaques pour vider les comptes des actifs.
A l’UNSA, dès le départ, nous étions contre la monétisation du CPF car il y avait un risque de marchandisation et d’inflation du coût de la formation même s’il y a eu une volonté de régulation. De plus, nous estimions que sans accompagnement obligatoire, l’individu pouvait se retrouver dans une situation de vulnérabilité, notamment les publics les plus éloignés de l’emploi et les moins qualifiés. Pour l’UNSA, le fait de laisser seule une personne choisir une formation dans un catalogue et la payer avec sa carte bleue comme un banal achat laissait présager de la multiplication des fraudes et des abus en tout genre.
Certes, les arnaques ont pu donner une image négative du CPF aux personnes qui se sont fait « siphonner » leur compte. Cependant, le démarchage commercial agressif pourtant condamnable a permis de faire connaître le dispositif. Il faut bien admettre que nous avons tous eu à un moment donné avec notre entourage une conversation sur le énième appel, mail ou sms nous proposant d’utiliser rapidement notre compte car nous allions perdre nos droits à la formation. Il est certain que nous avons plus échangé sur le CPF après une démarche frauduleuse qu’après la campagne de communication du ministère du Travail au moment du lancement de l’application. D’une certaine façon, les arnaques ont contribué à la notoriété du CPF.
Nous faisons ainsi un bilan en demi-teinte :
Pour l’UNSA, la dernière réforme de la formation professionnelle mérite un bilan qualitatif et quantitatif partagé entre tous les acteurs notamment sur son objectif initial de simplification et d’amélioration du système au bénéfice des plus éloignés de l’emploi. Par ailleurs, la captation des fonds de la formation effectuée majoritairement sur l’apprentissage et sur des niveaux supérieurs a conduit à une baisse des niveaux de prise en charge des coûts contrats. Sur ce sujet, l’UNSA s’interroge non seulement sur la soutenabilité économique de certains CFA mais aussi sur la capacité à offrir une carte des formations diversifiée, accessible dans tous les territoires. Pour l’UNSA, cette évolution du modèle de l’apprentissage et le poids financier pour les finances publiques, appellent une évaluation qualitative sérieuse. Malgré la dernière mesure gouvernementale avec une révision de la prime à l’embauche à 6 000 euros, le ciblage des aides reste insuffisant, pour un rééquilibrage au profit des formations bac et infrabac et des contrats de professionnalisation. Les déficits récurrents de France compétences imposent des effets correctifs.
Aussi, la réforme de la formation professionnelle a fait l’impasse sur le rôle des territoires. L’UNSA revendique une vraie place pour les CREFOP et a activé son réseau militant présent dans ces instances. En effet, les Régions sont un acteur incontournable dans la coordination des actions Emploi-Formation professionnelle en lien avec les acteurs économiques et sociaux des territoires (entreprises, partenaires sociaux, branches…).
De plus, le manque d’accompagnement des actifs « seuls face à leur application CPF » oblige à rendre automatique le recours au Conseil en évolution professionnelle (CEP). On ne peut pas se satisfaire qu’à peine 6 % des personnes y aient recours.
Pour l’UNSA, le CEP est la pierre angulaire de l’accompagnement tout au long de la vie professionnelle, il doit donc être sérieusement développé pour aider à la décision.
La piste d’une régulation avec un reste à charge pour chaque apprenant vient de faire l’objet d’un amendement. Quel est votre point de vue sur cette proposition ?
Dans un contexte d’inflation, les salariés et notamment les plus modestes seront pénalisés. Les ouvriers et employés représentent près de 7 personnes sur 10 formées grâce au CPF. Cette mesure est non seulement injuste mais remet en cause le droit universel à la formation tout au long de la vie. Pour l’UNSA, ce choix budgétaire traduit un désengagement de l’État face au déficit de France compétences, qu’il fera désormais payer en partie par les salariés. Par ailleurs, pour l’UNSA, cette décision remet en cause le principe de « la liberté de choisir son avenir professionnel » énoncé dans la loi de septembre 2018.
Si l’UNSA défend le principe de co-construction du CPF avec l’entreprise mais pas à n’importe quel prix, cette co-construction entre le salarié et l’entreprise ne peut se bâtir sur de la contrainte en imposant une formation au service uniquement des besoins de l’entreprise et doit se faire dans le cadre d’accords collectifs et notamment avec la négociation du plan de développement des compétences (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui). La formation professionnelle et plus généralement la montée en compétences des salariés doivent être un objet réel et partagé d’un dialogue social loyal.
Carole Grandjean a évoqué un “catalogue des formations qui devra être mieux ciblé vers les métiers en tension et les besoins de l’économie”. Ce fléchage des formations du CPF vous semble-t-il être un possible avancé ?
Nous avons le sentiment que ce catalogue de formations est une réplique des fameuses listes éligibles, que nous avions dénoncées. Pensez que la formation serait l’alpha et l’oméga pour répondre aux besoins en recrutement dans les secteurs en tension est quelque peu réducteur.
L’attractivité de certains métiers englobe d’autres paramètres à considérer et notamment les conditions de travail : salaires, perspectives d’évolution, articulation vie personnelle/vie professionnelle, aménagements des fins de carrière… Les employeurs, les branches doivent prendre leurs responsabilités.
Quelles sont les pistes d’amélioration que vous proposez pour pérenniser le CPF ?
Tout d’abord, d’un point vue philosophique voire sociétal, le CPF doit demeurer un compte personnel et non professionnel à la main de l’actif et répondre au droit universel à l’accès à la formation.
Avec l’instauration d’un reste à charge, il y a un grand risque de désintérêt pour la formation à l’image du non recours aux soins pour les personnes qui ne peuvent pas s’affranchir du paiement du ticket modérateur.
De plus, ce reste à charge ne réglera pas cette perception des entreprises qui estiment qu’elles financent un système de formation sans obtenir « leur retour sur investissement » pour leurs salariés. L’UNSA a toujours considéré la formation comme un investissement et non un coût. Investir dans le capital humain a un impact direct sur la hausse de productivité et en conséquence sur la création de richesse et de croissance. En considérant les compétences comme une valeur, un actif immatériel amortissable d’un point de vue comptable, les entreprises auront un “retour sur investissement” palpable.
Avec les effets de la loi anti-fraude au CPF, un CEP obligatoire ainsi que malheureusement le reste à charge à payer, le système va d’une certaine façon s’auto réguler financièrement. Mais pour l’UNSA, le problème de financement du CPF est davantage lié au fléchage des fonds prélevés sur les entreprises pour les salariés utilisés in fine pour financer les actions en faveur des demandeurs d’emploi via le Plan d’investissement dans les compétences (PIC).
Plus largement, quels sont les enjeux à relever en 2023 en matière de formation des adultes ?
Un des premiers enjeux est une nouvelle fois la simplification que ce soit pour les bénéficiaires ou les acteurs. En effet, à chaque réforme de la formation professionnelle, le législateur et les partenaires sociaux ont toujours eu cet objectif. Force est de constater que le système est toujours aussi complexe, voire s’est complexifié, tant sur les circuits de financement que sur la multiplicité et la lisibilité des dispositifs. En somme, une affaire d’experts. Pour autant, il y a des leviers sur lesquels nous devons agir pour que la formation professionnelle profite au plus grand nombre et que celle-ci joue pleinement son rôle d’ascenseur social (et ce n’est pas un concept passéiste) et de sécurisation professionnelle.
Comme nous l’avons indiqué précédemment, la formation ne doit pas être fléchée uniquement dans l’objectif de régler le problème des métiers en tension. C’est pourtant ce que l’exécutif privilégie. Pour l’UNSA, l’adéquationnisme pur est un danger pour les actifs. Leur épanouissement passe aussi par leur développement personnel et leurs aspirations professionnelles.
L’accompagnement doit aussi être renforcé et facilité pour tous les actifs, ce qui a aussi la vertu de pousser à l’auto-questionnement sur son parcours professionnel.
Par ailleurs, l’UNSA revendique que le plan de développement des compétences fasse l’objet d’une négociation obligatoire. Si nous voulons inscrire la formation comme un élément de performance et stratégique des entreprises, le PDC ne peut pas être relégué à une simple consultation du CSE et uniquement à l’initiative de l’employeur. Les possibilités d’abondements par les employeurs peuvent se révéler une véritable opportunité mais dans un cadre négocié.
Nous devons nous saisir et répondre à la question des freins périphériques à l’accès à la formation. Ils sont de différents ordres : logement, transport, santé, garde d’enfant… Sur ce sujet, l’UNSA revendique une négociation spécifique.
Il nous faut aussi collectivement relever le défi de la formation des séniors qui est un angle mort de la réforme de 2018 et plus globalement des politiques de l’emploi.
Enfin, pour l’UNSA, il faut continuer à cibler en priorité les publics les plus vulnérables et renforcer les coopérations, la coordination entre les acteurs de terrain (Pôle emploi, Missions locales) et les financeurs (État, Région).
A cet égard, l’UNSA sera vigilante sur la mise en place de France Travail notamment sur cette dimension de gouvernance.
Propos recueillis par Sandrine Damie – Décembre 2022