A l’ocasion de la sortie prochaine de l’appli CPF, Benoit Serre, vice-Président national délégué de l’ANDRH répond à nos questions sur la place des RH dans la formation et la réforme du CPF.
L’ANDRH, Association nationale des Directeurs de Ressources humaines, anticipe et accompagne l’évolution des métiers des ressources humaines depuis plus de 70 ans. Avec plus de 5 000 membres, professionnels et experts RH, elle est aujourd’hui la plus grande communauté RH en France.
Benoit Serre, vice-Président national délégué de l’ANDRH a pris le temps de faire le point avec nous sur le CPF et la place des RH dans la formation aujourd’hui.
Lors de votre université d’été en juin 2019, vous aviez choisi le thème des nouveaux équilibres. Pourquoi ce choix et quelles ont été les problématiques au cœur de vos échanges ?
On a choisi une thématique qui permet de confronter plusieurs points de vue ; c’est ce qui nous semble intéressant pour avancer dans nos réflexions. La fonction RH est une fonction d’équilibre entre le social et l’économique. On est à la croisée des contraintes économiques et de la réalité de la vie de l’entreprise. Par ailleurs, dans une période où tout bouge en même temps, il ne faut pas attendre de cumuler des éléments de transformation au risque de vivre dans un déséquilibre précaire.
Ces échanges ont été l’occasion de rappeler également qu’on ne peut pas passer son temps à gérer le déséquilibre en faveur du secteur public avec une législation trop pesante sur les entreprises. L’Etat doit prendre aussi en compte la liberté d’initiative et la liberté d’entreprendre du secteur privé.
Que pensez-vous de la Loi sur l’Avenir professionnel ?
Sur le fond, l’intention est bonne, mais les conditions de mise en œuvre viennent quelque peu atténuer l’impulsion initiale. L’idée d’un droit à la formation transférable est une excellente idée tout comme la monétisation du CPF. Mais proposer 15 euros par heure de CPF alors qu’en moyenne une heure de formation coûtait jusqu’à présent 40 euros pose la question d’un co-financement avec le salarié. Solidaires des TPE pour le financement des formations, les grandes entreprises, doivent également investir des fonds complémentaires pour former leurs salariés.
Autre bémol : le CPF est librement utilisé par chaque personne. Hors les envies de formation sont parfois éloignées de son activité professionnelle ou des besoins d’évolution de compétences de l’entreprise. Comment faire pour co-construire alors que l’individualisation est mise en avant avec la réforme du CPF ? Comment penser « collectif » et développer un plan de compétences au sein des entreprises ? Ces questions sont au cœur de nos réflexions actuelles. Nous nous interrogeons sur la pertinence du CPF, pensé hors de la vie de l’entreprise.
Par ailleurs, nous sommes perplexes sur la mise en place du conseil en évolution professionnelle. Pourquoi avoir choisi Pôle Emploi pour porter ce dispositif ? Les RH le font très bien, et n’attendant pas qu’une personne soit sans emploi pour l’accompagner dans son développement de compétences et son positionnement professionnel.
Enfin, un point des plus positifs : le développement de l’alternance et de l’apprentissage, préconisé par la Loi sur l’Avenir professionnel, et accueille comme une très bonne nouvelle par les entreprises.
Comment les RH se positionnent par rapport à la réforme du CPF ?
Il est bon de rappeler que les entreprises sont les premiers acteurs de la formation des salariés ! Les DRH font bien évidemment la promotion du CPF et de son utilité auprès de leurs collaborateurs. Mais il est tout de même curieux de le faire alors même que la formation peut être complètement décorrelée du plan de compétences de l’entreprise.
Pour mémoire, toute formation se déroulant sur le temps de travail doit faire l’objet d’une demande préalable auprès de son employeur, qui est en droit de la refuser. Par contre, toute formation se déroulant hors temps de travail, est librement choisie par les salariés.
Comment les RH évoluent face à ces nouvelles opportunités de formation ?
L’ANDRH a fait part de son souhait de co-construction lorsque cela concerne des formations utilisées dans les entreprises. Le salarié a tout intérêt à se former à une compétence dont il a besoin en entreprise… et l’employeur a aussi intérêt à voir ses salariés se former pour le maintien de son employabilité et pour répondre aux évolutions de l’entreprise. Dans un monde qui évolue rapidement, la gestion prévisionnelle des compétences est primordiale. Si ces prévisions sont aisées à mener dans les grandes entreprises, la situation est bien différente pour les PME qui ont des moyens limités.
Nous souhaitons, par exemple, la création d’accords collectifs pouvant imposer aux salariés un usage de leur CPF. Autre piste à creuser : la possibilité de mobiliser le CPF au-delà des seules formations diplômantes ou qualifiantes.
Ces évolutions en termes de politique de la formation impliquent un changement de posture de la part des RH. C’est déjà le cas dans de nombreuses entreprises, mais cela devrait continuer à se développer à l’avenir. Les personnes en charge des RH doivent devenir des stratèges, connectées au business de l’entreprise, avec un rôle d’influence.
A l’ANDRH, nous sommes convaincus que le CPF doit d’abord s’instruire et se construire au sein de l’entreprise. Depuis des années, l’entreprise assure la formation continue des salariés, et cela doit continuer. Notre force est de définir les compétences dont l’entreprise a besoin demain, et la façon dont on les développe. Le DRH remplit un rôle social indispensable à tous. Nous appelons ainsi à une politique volontariste en matière de maintien en l’emploi des seniors. Et là encore, nous sommes persuadés que les RH ont un rôle à jouer dans la formation des seniors au sein de l’entreprise.
Que pensez-vous de la sortie prochaine de l’Appli CPF ?
Cet outil devrait permettre à chacun de trouver facilement la formation qui lui correspond, pourvu d’avoir un projet précis. Si plus de personnes sont informées de la possibilité de se former, de leurs droits à la formation, ce sera également une bonne nouvelle.
Par contre, nous nous interrogeons sur la limite de l’appli : qu’en est-il pour des projets de formation longue, demandant de construire son projet au préalable ?