Interview de Carole Brunet et Géraldine Rieucau, chercheuses (LED, Université Paris 8, CEET) qui se sont penchées sur le lien entre information et formation et donc l’accès à la formation.
A l’occasion de la sortie de cette publication du Céreq, nous avons interrogés Carole Brunet et Géraldine Rieucau, chercheuses et autrices de la publication “Tous informés… tous formés ?” du Céreq. Zoom sur les résultats obtenus, et les enseignements qu’elles en tirent : quel canal d’information sur la formation pour se former ?
Pourquoi vous êtes-vous penchées sur les dispositifs d’information des salariés sur la formation ?
L’augmentation du recours à la formation professionnelle et la réduction des inégalités d’accès sont des objectifs centraux des réformes actuelles du marché du travail. De manière plus large, depuis une dizaine d’années, il est demandé aux salariés d’être responsables de l’élaboration de leur projet de formation, et plus généralement d’être autonomes dans la construction de leur parcours professionnel.
La loi de septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel résume et parachève cet objectif. Pour autant, comme l’ont montré les travaux du Céreq, la responsabilité des salariés n’est pas la seule en jeu : les dispositifs mis en place par l’entreprise pour leur permettre d’être informés, et d’exprimer leurs demandes sont également déterminants dans l’accès à la formation
Sur quelles données vous êtes-vous appuyées dans le cadre de cette étude ?
Nous avons mobilisé le dispositif d’enquêtes sur les formations et les itinéraires des salariés (Defis), Initié par le CNEFP, financé par France compétences et réalisé par le Céreq. Ces données mettent en relation les pratiques des entreprises avec les parcours professionnels de leurs salariés, ainsi que les formations qu’ils ont suivies
Quels sont les trois canaux d’information que vous avez identifiés vis-à-vis de l’accès à la formation ?
Nous avons distingué trois canaux d’information des salariés : un canal « vertical » lorsque les salariés sont informés par leur hiérarchie, un responsable de la formation ou des ressources humaines ; un canal « horizontal » lorsque l’information est donnée par les collègues de travail ou des représentants du personnel, et un canal « autonome » lorsque le salarié s’informe seul.
Comment les salariés ou les entreprises s’emparent-elles de ces dispositifs ?
À l’été 2015, la grande majorité (86 %) des salariés interrogés dans Defis disent être informés des possibilités de formation en entreprise, résultat stable par rapport aux sources antérieures.
Les hommes, les cadres, les professions intermédiaires, les salariés en contrat à durée indéterminée (CDI), ceux à temps plein et ceux ayant le plus d’ancienneté dans l’entreprise sont les catégories les plus informées.
Travailler dans une entreprise où il y a des délégués syndicaux, dans une entreprise de grande taille, dans l’industrie, ou encore dans une entreprise dont le marché n’est pas local ou régional augmente, à chaque fois, la probabilité d’être informé des possibilités de formation.
L’analyse confirme de surcroît le rôle majeur de l’entretien professionnel comme dispositif favorisant, entre autres, l’information sur la formation au sein des entreprises.
Si l’on s’intéresse à la mobilisation des différents canaux, on constate que près de la moitié des salariés (46 %) identifient la hiérarchie comme voie principale d’information. Les responsables de la formation ou des RH sont, quant à eux, cités par 20 % des salariés. Les deux tiers des salariés sont donc principalement informés par un canal qualifié de « vertical » car les interlocuteurs incarnent la politique de l’entreprise en matière de formation. À côté de ce canal principal d’information, deux autres canaux secondaires existent. Le premier, qualifié d’« horizontal », concerne 10 % des salariés, qui disent être informés par leurs collègues ou par un représentant du personnel. Le deuxième canal secondaire est mentionné par les 10 % des salariés qui s’informent par eux-mêmes, sans qu’une autre personne soit impliquée. Ce canal est qualifié d’« autonome » pour signifier l‘absence de relais de transmission de l’information.
Comment expliquez-vous que les canaux d’information soient utilisés différemment selon le profil du salarié ?
La diffusion d’informations par la hiérarchie fonctionne principalement dans une logique de marché interne d’entreprise : elle s‘adresse aux salariés les plus intégrés (CDI, plus de sept ans d’ancienneté). Nous notons aussi que les femmes sont moins informées par le canal vertical que les hommes : leurs horaires de travail plus fragmentés et d’avantage de temps partiel avec peu d’heures hebdomadaires sont peut-être en jeu ici.
L’information diffusée par les collègues et les représentants du personnel (le canal horizontal) atteint, en revanche, les salariés indépendamment de la forme de leur contrat, et davantage ceux présents depuis moins de deux ans que les plus anciens dans l’entreprise. Les informations transmises ici sur un mode relationnel (voire amical) et dénué d’enjeu hiérarchique, touchent davantage les employés et les ouvriers que les cadres ou les professions intermédiaires. Lorsqu’ils n’ont pas accès à l’information par la hiérarchie, le collectif de travail représente pour les employés et les ouvriers une source non négligeable d’information.
Mais c’est un collectif de travail avant tout masculin : les hommes sont plus souvent que les femmes informés des possibilités de formation par ce canal horizontal. Ceci pourrait s’expliquer d’une part, par le fait que les femmes connaissent relativement peu les représentants du personnel dans leur entreprise, et elles sont par ailleurs moins nombreuses parmi ces derniers. On sait, d’autre part, que les femmes passent moins que les hommes par leurs réseaux professionnels (donc leurs collègues) pour s’informer.
Enfin, la mobilisation du canal autonome augmente lorsque l’entreprise ne diffuse pas d’informations sur la formation, et concerne d’avantage les salariés qui travaillent dans des petites entreprises (car ils ont moins d’opportunités d’interagir avec des collègues ou des représentants de l’entreprise, de fait peu nombreux), les salariés sur des postes de cadre ou de profession intermédiaire, les salariés diplômés d’un baccalauréat ou d’un diplôme du supérieur (par rapport aux non diplômés), ainsi que les salariés de nationalité française.
Quels enseignements tirez-vous des résultats de cette étude et du niveau d’accès à la formation ?
Au total, l’information diffusée par la hiérarchie ou les responsables des RH ou de la formation atteint les salariés les plus intégrés à l’entreprise, indépendamment de leur CSP et de leur niveau de diplôme. Les salariés s’informant aux marges de ce canal principal, piloté par l’entreprise, ont des profils contrastés : il s’agit d’un côté plutôt d’une population de cadres, bien dotée en capital humain, qui s’informe par elle-même, et d’un autre côté d’une population masculine d’ouvriers et d’employés, plutôt récemment arrivée dans l’entreprise, qui bénéficie de l’information donnée par la voie horizontale.
Nos résultats soulignent l’importance des politiques d’entreprise, qui ciblent des catégories de salariés vers lesquelles elles orientent l’information sur les formations. Ils amènent aussi à questionner les effets des différents canaux d’information identifiés sur la participation effective des salariés à la formation.
Si être informé plutôt que non informé augmente fortement la probabilité de participer à une formation demandée, chacun des trois canaux influence de façon très variable l’accès effectif à la formation. La probabilité de suivre une formation demandée augmente ainsi de 12 points de pourcentage lorsque l’information provient du canal vertical, de 9 points lorsque le salarié s’est informé par lui-même et de seulement 3 points lorsque l’information provient des collègues ou des représentants du personnel.
La hiérarchie et les responsables des RH ou de la formation jouent donc un rôle crucial la fois dans l’accès à l’information sur la formation et dans la participation effective à une formation demandée. En effet, l’information est alors diffusée par différentes voies (entretiens, catalogue, etc.), elle émane de représentants de l’entreprise, peut être répétée, appuyée et perçue comme fiable. Outre le fait qu’il informe le salarié, le responsable (hiérarchique ou des RH) a pu donner son aval pour la formation, accompagner le salarié dans ses démarches et l’inciter à y participer. Mais en destinant en priorité son information aux salariés les plus intégrés et qu’elle souhaite former (voire faire évoluer via des mobilités internes), l’entreprise réplique et renforce la segmentation de sa main-d’œuvre.
Par ailleurs, les salariés les mieux dotés en capital humain s’informent d’eux-mêmes et ont un accès à la formation amélioré par cette information « auto-produite », même si cette amélioration est moindre que celle apportée par le canal vertical. D’un autre côté, les ouvriers, employés, hommes, au seuil du marché interne, sont informés par les représentants du personnel ou leurs collègues et accèdent nettement moins que les autres à une formation. On peut supposer que l’information délivrée par le canal horizontal est moins précise, et peut-être moins ajustée aux formations délivrées dans l’entreprise que celle issue des deux autres canaux.
Quelles pistes d’amélioration préconisez-vous pour l’accès à la formation ?
Notre étude invite à suggérer trois pistes pour réduire les inégalités d’accès à la formation. La première consiste à inciter les « représentants » de la politique de l’entreprise (hiérarchie, responsables RH ou de la formation) à cibler davantage l’information qu’ils diffusent sur les salariés aux profils les plus fragiles. La seconde à impliquer plus fortement dans la politique de formation de l’entreprise les représentants du personnel, dont on a vu qu’ils informaient tout particulièrement des catégories peu formées. Enfin, une attention particulière doit être accordée aux salariées femmes, moins concernées par l’information diffusée par le canal vertical et par le canal horizontal.
Pour aller plus loin :
Tous informés… tous formés ? Céreq Bref, n°378, 2019, 4 pages.