Yvan Ricordeau, secrétaire national de la CFDT a répondu à nos questions sur le Plan d’adaptation de la politique de compétences à venir.
Quel bilan tirez-vous de la gestion du télétravail et du chômage partiel par les entreprises durant la crise ?
Partout où le télétravail a été mis en place dans le cadre d’un dialogue social de qualité, des solutions ont pu être trouvées. Il faudra d’ailleurs en tirer toutes les leçons, pour intégrer ce qui a pu être favorable en termes d’autonomie des travailleurs, mais corriger également les inégalités ou les difficultés qu’ils ont pu vivre dans cette période si particulière. La CFDT sera au rendez-vous pour négocier des accords de télétravail qui tiennent compte de ces enseignements pour l’avenir. L’accord national interprofessionnel sur l’encadrement qui vient d’être signé est, par ailleurs, un bon outil pour repenser les cultures managériales dans les entreprises.
La mise en place de l’activité partielle était nécessaire pour éviter que les salariés se retrouvent au chômage. Malheureusement, ce sont les plus précaires (jeunes en période d’essai, CDD, intérimaires) qui n’ont pas pu en bénéficier. Nous sommes par ailleurs vigilants sur certaines pratiques de mise en œuvre hyper-individualisée de l’activité partielle, afin de vérifier qu’il n’y pas eu des cas de travail dissimulé.
La CFDT est favorable à la création d’un dispositif d’activité partielle longue durée basé sur la négociation d’accords collectifs. Dans les entreprises qui vont reprendre progressivement leur activité, ces négociations doivent permettre de construire des équilibres au plus près de la réalité du travail, avec les représentants des salariés. C’est une des conditions indispensables pour aborder et surmonter collectivement les difficultés auxquelles nombre de salariés et d’entreprises vont devoir faire face dans les semaines à venir. Ces accords devront également permettre de débattre enfin des engagements des entreprises en termes de maintien de l’emploi.
Que pensez-vous du dispositif FNE mis en place durant la crise et perdurant pour certains secteurs d’activités aujourd’hui ?
La CFDT a toujours défendu le principe de « former plutôt que chômer » et le FNE Formation a été une réponse adaptée durant cette période. Toutefois et à ce jour, trop peu d’entreprises s’en sont saisies. Il est important de trouver des solutions différenciées selon les secteurs, mais elles doivent être construites dans le cadre d’un dialogue économique et social assumé et non de certaines formes de lobbying.
Un plan d’adaptation de la politique de compétences et de la formation professionnelle sera discuté dans les prochaines semaines. Quelles sont vos attentes et propositions pour ce plan ?
La CFDT s’est mobilisée pour un plan de relance de l’apprentissage. Nous souhaitons que ce plan de relance, dont nous partageons les grandes lignes, s’étende également aux contrats de professionnalisation.
De nombreux secteurs professionnels vont connaître des mutations accélérées, il faut les accompagner et définir un plan de reconversion à la hauteur des besoins. Ce plan doit s’articuler autour de 2 piliers : un système d’abondement très développé des comptes personnels de formation, un droit à la reconversion complètement revisité qui prenne en compte les acquis individuels de chaque travailleur.
La CFDT porte, par ailleurs, deux priorités pour prendre en compte les enjeux de la période : une mobilisation inédite en direction des jeunes et un soutien massif à la validation des socles de compétences de base (Cléa et Cléa numérique).
Monsieur Yvan Ricordeau, souhaitez-vous une réorientation du plan d’investissement dans les compétences ? Si oui, qu’en attendez-vous ?
La crise sanitaire a malheureusement creusé les inégalités. Donc les finalités du PIC doivent rester les mêmes : cibler les plus fragiles, afin de leur permettre d’accéder aux compétences indispensables à leur retour à l’emploi. En revanche, la crise a fait apparaître de nouveaux « décrocheurs ». Ce terme était employé pour les jeunes sans emploi ni formation. La crise a interrompu ou dégradé des parcours dans l’emploi ou en formation. Il faut s’attacher à donner à tous ces actifs, jeunes ou moins jeunes, un véritable « droit de suite » pour qu’ils puissent reprendre le cours de leurs projets vers la qualification et l’emploi.
Avec la mise en place du télétravail, la transition numérique a été au coeur des pratiques numériques des entreprises. Comment accompagner les salariés dans cette montée en compétences ?
La crise a été un révélateur dont il faut se saisir. Il ne s’agit pas que de télétravail, mais aussi de la capacité à se former à distance. Quelqu’un qui ne maîtrise pas les compétences numériques de base est donc victime de la double peine : au travail comme en formation. Le premier enjeu est donc de ne laisser personne du mauvais côté de la fracture numérique. Les partenaires sociaux ont construit le certificat CléA Numérique, qui atteste de la maîtrise des fondamentaux du numérique en environnement professionnel. La CFDT revendique un vaste plan d’investissement dans les compétences numériques où l’accès à ce certificat soit garanti pour tous.
Au-delà, il en va de la transition numérique comme de toutes les stratégies d’entreprise : elle ne pourra être conduite que si l’investissement productif intègre dès sa conception un volet compétences. Mais sur le numérique en particulier, ce sont les usages plus que les outils qui font la différence. La maturité numérique des entreprises passe donc par les compétences numériques de ses salariés.
Muriel Pénicaud a déclaré “ Il faut permettre à chacun d’utiliser cette période difficile comme une occasion de rebond, [et] développer les compétences nécessaires demain en matière numérique, en matière de transition écologique, en matière d’aide aux personnes”. Quelles mesures pourraient contribuer au retour à l’emploi des demandeurs d’emploi, selon vous ?
C’est au cœur des territoires que le retour à l’emploi se joue. Avec un accompagnement de qualité, on peut changer de métier dans son bassin d’emploi. Mais c’est beaucoup plus compliqué s’il faut déménager et quitter les réseaux de solidarité concrète de son bassin de vie. Le développement des compétences nécessite donc une adaptation très fine aux besoins du marché du travail dans un environnement géographique particulier. C’est pourquoi la CFDT est pleinement mobilisée dans les conférences sociales en cours dans les régions.
Car la deuxième condition de réussite, c’est la capacité des acteurs politiques, économiques et sociaux à bâtir un diagnostic partagé et à se mobiliser ensemble pour y répondre. Il ne s’agit pas d’un diagnostic d’expert à long termes, mais un diagnostic d’engagement pour l’action. La CFDT souhaite donc une discussion dans chacune des régions permettant de définir les secteurs professionnels stratégiques à soutenir et les politiques des compétences qui en découlent. Si le diagnostic est partagé, alors l’action conjuguée de tous peut produire des résultats pour mieux articuler les transitions économiques, écologiques, numériques, et les reconversions des travailleurs.
Mais ces plans devront être soutenus financièrement par l’État.
Quelle place pour le CPF dans la transformation attendue des compétences et dans cette période de relance économique ?
Ce sont les partenaires sociaux qui ont inventé le CPF pour constituer un véritable droit attaché à la personne, quel que soit son statut. Mais la seule dotation annuelle ne suffit pas pour s’engager dans des projets de développement des compétences un peu lourd. La CFDT a toujours souhaité que le CPF puisse être au cœur d’un système d’abondements favorisant la co-construction des projets. C’est d’ailleurs un gage de réussite, car c’est l’engagement de l’apprenant qui lui permet véritablement d’atteindre les objectifs qu’il s’est lui-même fixés.
Etes-vous favorable à un abondement spécifique du CPF en cohérence avec le plan de relance économique ?
Nous sommes favorables à des abondements spécifiques, négociés au plan collectif dans l’entreprise ou le territoire, pour favoriser la capacité des personnes à faire des choix éclairés pour leur avenir professionnel. Mais si le CPF doit bénéficier d’abondements, il doit également pouvoir être mobilisé par son titulaire pour cofinancer son projet de transition professionnelle (pris en charges par les associations paritaires Transitions Pro), ce que la loi interdit malheureusement aujourd’hui.
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Crédit Photos : © CFDT – Anne Bruel.