Dans le cadre du Printemps de la formation 2021 organisé par nos amis de Unow, nous nous sommes engagés à choisir un sujet d’actualité sur le sujet qui nous est cher : le CPF. Nous aurions pu vous parler des contraintes que rencontre le CPF en ce moment. Les besoins en financement qu’il va rencontrer dans les prochaines années. Peut-être même des abondements et du rôle des entreprises mais nous avons souhaité nous mettre dans la peau de Thomas Pesquet et prendre un peu de hauteur pour comprendre les futures évolutions de ce dispositif : l’avenir du CPF c’est l’Europe !
En effet, alors que le CPF s’installe progressivement dans les habitudes des Français pour se former, la question d’un compte de formation individuel européen émerge.
Sofia Fernandes, Chercheuse senior de l’Institut Jacques Delors (Paris) et Directrice de l’Académie Notre Europe, et Klervi Kerneïs, Assistante de recherche sur la politique du travail et des affaires sociales, Institut Jacques Delors (Paris), se sont penchées sur la question de la formation au sein de l’Europe. Leur étude dresse un état des lieux de la formation des adultes dans l’UE et appelle à une initiative européenne pour favoriser la création d’un droit individuel à la formation des adultes dans chaque Etat membre, en établissant des comptes de formation individuels conformément à des lignes directrices européennes.
La crise sanitaire du covid et la crise économique qu’elle a entraîné ont accéléré les évolutions déjà en cours sur le marché du travail, notamment en matière de transition numérique et écologique. Pour elles :
« Ce n’est qu’avec une main d’œuvre qualifiée et résiliente qu’il sera possible de maximiser les opportunités offertes par les transitions en cours. Comme le disait déjà Jacques Delors en 1989, la formation permanente ne permet pas seulement aux individus de s’adapter au changement, mais de le maîtriser ».
Elles font également le constat d’un besoin croissant de mise à niveau des compétences et de reconversion professionnelle continue dans l’Union Européenne. Selon les nouveaux objectifs de la Commission européenne, au moins 50 % des Européens âgés de 25 à 64 ans devraient participer à des formations chaque année d’ici 2025, et au minimum 60 % d’ici 2030.
Des systèmes de formation pour adultes peu efficients dans l’Union Européenne
Partout dans l’Union Européenne, les personnes ayant le plus besoin de formation sont celles qui se forment le moins :
« C’est surtout vrai pour les adultes peu qualifiés, dont la participation à des formations se situe 40 points de pourcentage au-dessous de celle des adultes qualifiés en moyenne dans l’UE (18 % contre 58 % respectivement). Les personnes sans emploi sont également moins susceptibles de suivre une formation que celles occupant un emploi. »
Au-delà du constat du manque de garanties sur la qualité de la formation pour adultes, le rapport pointe l’inadéquation entre l’offre de formation et les besoins sur le marché du travail. Des outils d’anticipation des compétences doivent encore être aménagés dans l’UE. Plus gênant encore, certains rapports soulignent :
« le sous-investissement collectif dans la formation des adultes et l’absence de coordination en matière de gouvernance. Le financement de la formation des adultes est en effet très insuffisant, les États membres investissant en moyenne 0,5 % de leur PIB dans la formation des adultes, contre 4,6 % pour l’éducation dans son ensemble, malgré de fortes divergences d’un Etat à l’autre. »
Comptes individuels de formation : pourquoi une action de l’UE est-elle nécessaire ?
L’UE soutient l’action des Etats membres par sa coordination des politiques nationales et ses financements. Outre ses activités de coordination, l’UE octroie des financements visant à soutenir les initiatives dans le domaine de la formation des adultes. En raison de sa nature transversale, la question des compétences apparaît dans de nombreux fonds.
Le rapport met en avant un scénario imaginé par le Cedefop (2017) qui prévoit :
« qu’une baisse importante du nombre de personnes peu qualifiées grâce à une mise à niveau ambitieuse de la main d’œuvre pourrait conduire à une augmentation du PIB annuel de l’UE de plus de 200 milliards d’euros entre 2025 et 2050 ».
Cinq bonnes raisons de créer des comptes individuels de formation en Europe
Les chercheuses évoquent cinq raisons principales pour lesquelles l’UE devrait inclure les comptes de formation individuels dans sa boîte à outils :
- Les comptes de formation individuels associent les droits à la formation à un individu plutôt qu’à son poste ou à son statut.
- Grâce aux comptes de formation individuels, les travailleurs peuvent accumuler et transférer leurs droits à la formation tout au long de leur vie professionnelle, indépendamment de leurs changements de poste ou de statut sur le marché du travail.
- Les comptes de formation individuels peuvent être un outil utile pour contribuer au changement de mentalité autour de l’apprentissage tout au long de la vie.
- L’augmentation du taux de participation à la formation des adultes est une condition nécessaire mais non suffisante pour des systèmes de formation des adultes adaptés à l’avenir. La mise en place de comptes de formation individuels peut entraîner une réforme structurelle des systèmes de formation des adultes visant à combler leurs diverses lacunes.
- L’octroi à tous les adultes dans l’UE d’un droit individuel à la formation constitue une première étape pour garantir la portabilité des droits à la formation entre les pays de l’UE et ainsi protéger les droits des travailleurs mobiles.
Ainsi, la Commission européenne devrait proposer une recommandation de l’UE invitant les Etats membres à mettre en place, d’ici 2025, des comptes de formation individuels nationaux conformes à un ensemble de lignes directrices européennes communes :
« Les comptes de formation individuels nationaux garantiraient l’octroi à tous les Européens (qui ne suivent pas de formation initiale, et jusqu’à l’âge de la retraite) de droits à la formation, convertis en une somme d’argent ou un certain nombre d’heures de formation « gratuites » qui seraient créditées sur un compte personnel. »
Vers un compte de formation individuel européen
Le rapport plébiscite la création d’une plateforme dédiée servant de guichet unique pour la formation des adultes dans l’UE :
- Un compte de formation individuel européen comporterait des informations sur les dispositifs de comptes de formation individuels en place dans chacun des Etats membres.
- Il inclurait également des informations relatives à d’autres services susceptibles d’être intégrés ou non aux comptes de formation individuels tels que les services d’orientation, l’évaluation des compétences et la validation des acquis ou tout autre programme pertinent en matière de formation des adultes.
- Un compte de formation individuel européen permettrait aux travailleurs de visualiser leurs droits à la formation acquis dans les différents pays de l’UE.
- Les citoyens ne pourraient utiliser les droits à la formation acquis dans un autre Etat membre que pour des formations certifiées au niveau de l’UE.
- Un compte de formation individuel européen pourrait proposer une liste de l’ensemble des formations certifiées par l’Autorité européenne du travail.
Et si la France, avec son CPF, servait de modèle pour déployer les comptes de formation individuels auprès des autres membres de l’UE ? On a hâte de lire vos avis sur cette ambition européenne dans les commentaires !