A l’occasion du lancement de l’APP CPF, nous avons pu échanger avec Bertrand MARTINOT, directeur du conseil en formation et développement des compétences. Retrouvez-ci-dessous son interview pour en savoir plus sur le futur de l’application.
L’App CPF est lancée, selon vous quel est son principal atout ?
Cet outil était indispensable, il représente une première étape qui pourra être complétée par de nombreux services dans l’avenir, que nous avions aussi recommandé dans notre rapport. Mettre en ligne une grande partie de l’offre de formation, avec la possibilité de s’inscrire directement en ligne à une session, promouvoir l’évaluation par les stagiaires sur le modèle de TripAdvisor (possibilité de notation offerte dans une version ultérieure)… Tout ceci rend compte d’une avancée importante. A terme, des développements de type IA, incluant des conseils et un profilage des utilisateurs, offriront des perspectives nouvelles permettant d’affiner les choix et les propositions de formation en fonction du profil de compétences de chacun.
J’y vois aussi l’opportunité de reconfigurer le marché de la formation professionnelle afin qu’il soit plus transparent, avec une pression probable à la baisse sur les prix et un encouragement bienvenu à l’innovation, qui est un enjeu majeur pour ce secteur économique. D’ailleurs, il sera fortement concurrencé par les grands opérateurs du numérique dans les prochaines années.
Pour autant, il ne faut pas attendre de cette application plus que ce qu’elle peut donner. Le contact humain, les conseils de professionnels de l’accompagnement restent déterminants au risque de faire de mauvais choix. Présenter cette appli comme un outil magique (pour reprendre l’expression de la CFDT) ou comme l’alpha et l’omega d’une politique de développement des compétences serait évidemment absurde !
Selon vous, Bertrand MARTINOT, sur quel point peut-elle être améliorée ?
Elle est aujourd’hui extrêmement fruste. Pas de conseil, pas d’intelligence artificielle. A ce stade, beaucoup de plateformes d’orientation font beaucoup mieux. Mais la ministre Pénicaud a déjà indiqué qu’il y aurait des évolutions futures.
Le plus urgent est sans doute de construire le module « co-financement des entreprises ». On sait très bien que le CPF sera le plus souvent insuffisant et donc que son développement sera entravé si l’entreprise n’est pas partie prenante, soit comme co-financeur, soit en donnant l’autorisation à son salarié que tout ou une partie de la formation soit réalisée pendant le temps de travail. C’est pour moi un point de vigilance absolue. Il faudrait que cette fonctionnalité soit prête le plus vite possible, avant la fin du premier semestre 2020, sinon l’engouement sera réduit et les entreprises renonceront à s’engager.
Quelle est la réaction des entreprises face au CPF 2.0 ? Comment les entreprises peuvent-elle prendre en main le CPF de leurs salariés ?
Elle est pour l’instant très diverse. Une grande partie d’entre elles considèrent que le CPF n’est pas vraiment un sujet dont les entreprises ont à se saisir puisqu’il s’agit d’un dispositif individuel, à la main du salarié et sur lequel il n’a aucune information à communiquer à son employeur. Elles suivent en cela la position de la ministre du travail qui porte dans toutes ses interventions, une vision à mon sens excessivement individualiste de ce dispositif.
Cela étant, de plus en plus de DRH commencent à voir les potentialités de l’outil en termes de co-investissement. Il ne s’agit pas ici de “prendre en main le CPF de leur salarié”, bien sûr, ce que la loi ne permettrait pas de toute façon, mais plutôt d’embarquer le CPF dans un esprit collectif. Deux approches complémentaires existent.
La première est l’apport au salarié de conseils et d’appui en matière d’évolution professionnelle. L’entretien bi-annuel prévu par la loi est l’outil naturel pour aborder les questions avec le salarié et évoquer la mobilisation éventuelle de son Compte Personnel de Formation CPF. C’est dans un contexte où toutes les études montrent que ce dernier se sent très seul face à ces choix et face à la complexité du sujet : comment m’orienter, ai-je intérêt à bouger ? Vers quels métiers ? Quelles formations seraient nécessaires ? Une récente étude faite par Siaci Saint-Honoré et l’IFOP confirme cette situation : 45 % des salariés disent avant tout ne pouvoir compter que sur eux-mêmes pour faire ces choix compliqués (contre 14 % sur leur supérieur direct, citation qui vient juste après). Il y a des marges de progrès, et l’entreprise ne peut pas rester les bras croisés !
De ce point de vue, les prestations offertes en externe par les opérateurs du conseil en évolution professionnelle, qui seront financées par l’Etat à partir de 2020, sont intéressantes pour les salariés des petites entreprises, qui n’ont pas de service RH à leur disposition. Mais dans les entreprises d’une certaine taille, un appui et conseil en interne paraît indispensable.
La seconde approche consiste à définir dans le cadre d’un accord les modalités du co-financement du CPF par l’entreprise. C’est un volet qui peut donner lieu à des accords collectifs gagnant-gagnant très productifs. Mais il faudrait pour cela que l’application CPF le permette rapidement (cf. ci-dessus).
Selon vous, faut-il envisager des aides à l’exemple des crédits d’impôt pour inciter les grands groupes à la mise en œuvre de véritables investissements dans la formation ?
Les grands groupes n’ont pas besoin de crédits d’impôt pour agir !
Bertrand MARTINOT
Les grands groupes n’ont pas besoin de crédits d’impôt pour agir, ils ont pleinement conscience de l’enjeu du développement des compétences et de la formation : à la fois du fait des difficultés de recrutement, de leurs obligations légales et de la nécessaire montée en gamme de leurs collaborateurs dans un contexte de transformation rapide. Il faut donc surtout leur laisser le temps de travailler et de stabiliser la réglementation. La réforme de 2018 entre à peine en œuvre et elle offre des potentialités très vastes, laissons-la produire naturellement ses effets !