6 mois après le lancement du CPF, Emmanuelle Wargon répond aux questions de l’équipe de CPFormation. Au cours de cette interview, la déléguée générale explique la relation et le fonctionnement entre les différents acteurs. Elle nous donne également les derniers chiffres clefs ainsi que les améliorations en cours.
1/ Pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre au rôle au sein de la DGEFP et plus particulièrement concernant la réforme de la formation professionnelle ?
Je suis à la tête de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle depuis trois ans.
La DGEFP, c’est une direction d’administration du Ministère du travail, d’un peu moins de 250 personnes, dont le rôle est de penser, de concevoir et de déployer des solutions, conjoncturelles et structurelles, pour développer l’emploi en France, et d’organiser le système de la formation professionnelle.
De fait, nos politiques publiques touchent entreprises, employeurs du secteur non-marchand, salariés, demandeurs d’emploi… avec une insistance toute particulière sur les actions en faveur des personnes les plus éloignées de l’emploi.
Notre conviction, et ce qui guide notre action en matière de formation professionnelle, c’est que c’est un levier essentiel d’accès, de maintien et de retour à l’emploi. Elle aide les personnes les plus fragiles à se construire une trajectoire professionnelle. Et elle est stratégique pour aider les employeurs à s’adapter aux mutations économiques : à ce titre, elle doit être pensée comme un investissement par les entreprises.
2/ Le ministère, la DGEFP, le COPANEF, les OPCA et les OF : Comment s’opèrent les échanges et quel est le rôle de chacun ?
Dans le dialogue et le travail en commun ! Et cela, que ce soit de manière informelle ou au sein d’instances de concertation spécifiquement prévues à cet effet, afin de discuter avec tous les acteurs que vous avez cités, et d’autres encore, notamment les Régions. Cela semble parfois de longs processus, vu de l’extérieur, mais ces temps d’échanges sont absolument nécessaires pour la pérennité des outils mis en place. Et c’est le cas depuis que cette réforme a été initiée. Côté partenaires sociaux, la DGEFP a été à la manœuvre pour appuyer le gouvernement dès début 2013 dans la négociation qui a abouti à la loi du 5 mars 2014, et le dialogue a été constant depuis lors.
Concrètement, le Ministère (la DGEFP, sous l’impulsion du Ministre) détermine le cadre juridique de la formation professionnelle et déploie les dispositifs. Le COPANEF, constitué des organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel définit et coordonne les orientations des politiques paritaires en matière de formation et d’emploi, mises en œuvre par le FPSPP, qui finance notamment le CPF pour les demandeurs d’emploi. Le COPANEF est notamment responsable des formations éligibles au CPF. Les OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) sont devenus par la réforme les collecteurs uniques des contributions des employeurs, et ils jouent aussi désormais un rôle clé pour faire évoluer la qualité des formations.
Enfin, les relations sont régulières avec la Fédération de la Formation Professionnelle, les porte-paroles du mouvement des hiboux et plusieurs organismes de formation pour comprendre les difficultés actuelles et trouver le plus vite possible les ajustements nécessaires à cette période de transition, en maintenant l’esprit de la réforme.
3/ Le CPF est souvent compris comme le nouveau DIF, est-ce le cas ?
Non, ce n’est pas la même chose, et cette confusion est à l’origine de beaucoup de malentendus.
Il y a plusieurs différences fondamentales, qui font du CPF un outil :
- plus exigeant dans son utilisation que l’ancien DIF
- plus adapté au marché du travail que ne l’était le DIF
Les différences sont les suivantes : d’abord, le CPF est attaché à la personne et non plus au contrat de travail, c’est-à-dire qu’il suit l’individu tout au long de sa vie en lui permettant d’acquérir des heures de formation financées, sans limite de temps, quels que soient les changements de statut professionnel. Ensuite, il est financé par une cotisation spécifique des employeurs, ce qui n’était pas le cas pour le DIF.
En contrepartie, il n’est pas utilisable pour tout type de formation mais uniquement pour des formations certifiantes ou qualifiantes et répondant aux besoins de l’économie.
C’est un changement important, qui va dans le sens de la sécurisation des parcours professionnels. Les heures accumulées ne sont plus perdues en passant d’un emploi à l’autre. Le compte est surtout utile dans les périodes de transition, c’est-à-dire au moment même où la mobilisation du DIF devenait impossible.
Par ailleurs, l’établissement des listes de formations éligibles par les branches et les partenaires sociaux permet de cibler des compétences attestées (qualification, certification, diplôme) en lien avec les besoins de l’économie prévisibles à court ou moyen terme et d’améliorer la sécurisation des parcours professionnels des salariés.
4/ Pouvez-vous nous communiquer les derniers chiffres concernant les dossiers CPF validés ?
Nous avons eu plus de 5 millions de visites sur le site depuis le lancement en janvier 2015, 1,5 million de comptes ont été créés, et 65 000 dossiers en cours, dont on estime que la moitié a dépassé le stade du projet, et plus de 6 000 dossiers validés.
Ces chiffres sont encore relativement modestes. Ceci s’explique par le fait que la mobilisation du CPF nécessite la création de nouveaux process de prise en charge chez les financeurs, et en particulier dans les OPCAs, qui ne sont pas encore tous opérationnels. Nous avons aussi à organiser l’accrochage du SI de chaque OPCA au SI CPF, qui démarre maintenant puisque deux OPCA, Uniformation et FAFSEA, viennent de réaliser cette opération. Deux autres seront accrochés d’ici au 30 juin ainsi qu’un FONGECIF. La grande majorité des OPCA sera accrochée d’ici la fin de l’année.
Enfin, les listes de formations éligibles sont en cours de constitution et sont complétées régulièrement, sous la responsabilité des partenaires sociaux. La totalité des listes des COPAREF a été publiée. La troisième version de la liste du COPANEF est en cours de saisie. 98 listes de branches sont actuellement publiées, ce qui correspond à plus de 8 900 certifications disponibles sur le site. Nous estimons que plus de 15 millions de salariés et l’ensemble des demandeurs d’emploi sont d’ores et déjà couverts par ces listes.
Il y a 27 679 formations ou certifications publiées dans une ou plusieurs listes, dont :
- 15 795 formations pour les salariés
- 9 753 formations pour les demandeurs d’emploi
- 2 131 formations pour tout public
Les listes CPF incluent désormais des formations courtes : cela peut être des formations en langue, les formations du socle de connaissances et de compétences, les formations issues des plans régionaux de formation ou encore celles de l’Inventaire. A ce jour, 388 certifications issues de l’inventaire sont publiées dans les listes.
En résumé, le système CPF se met en place et devrait être totalement monté en charge d’ici la fin de l’année.
5/ Vous n’êtes pas sans savoir que la réforme a du mal à se mettre en place, quelles sont les raisons qui expliquent cette situation ?
La réforme de 2014 est une réforme très profonde qui nécessite des changements de comportements de tous les acteurs : actifs (salariés et demandeurs d’emploi), entreprises, financeurs, organismes de formation. Comme à chaque fois que nous passons d’un système à un autre, la transition peut être difficile, d’autant plus que cette réforme s’applique rapidement (loi votée en mars 2014 pour une application au 1er janvier 2015). L’enjeu de cette réforme était vraiment de repenser l’ensemble d’un système dans une logique qualitative et pas seulement quantitative : nous ne sommes plus dans l’obligation de dépenser mais dans celle de former.
La formation professionnelle doit désormais être considérée comme un investissement. Elle s’inscrit désormais au cœur des stratégies économiques et de développement des entreprises.
C’est notamment le sens des nouvelles exigences en matière de qualité de la formation professionnelle, et c’est un point important de la réforme.
Nous sommes conscients que cela suppose un gros effort d’adaptation de certains organismes de formation : nous avons donc depuis quelques mois, en plein accord avec les partenaires sociaux et les autres acteurs, procédé à différents ajustements, pour faciliter l’accès à la formation via le CPF mais aussi plus globalement. Ces ajustements devraient faciliter cette période de transition :
- Coté CPF : éligibilité des formations en langue depuis mars 2015 (test seul ou formation + test), et éligibilité de toutes les formations relevant du socle de compétences tant que les certifications à retenir par les partenaires sociaux n’auront pas été précisément définies
- Autorisation donnée par le ministre aux OPCA de réaffecter 20% des sommes perçues au titre du CPF en 2015 aux périodes de professionnalisation
- Autorisation donnée par le ministre aux OPCA de réaffecter 15% des sommes perçues au titre du CPF en 2015 au plan des entreprises de 10 à 50 salariés
- Décalage de l’entrée en vigueur du décret sur la qualité en formation au 1er janvier 2017, pour laisser aux organismes de formation et aux financeurs 18 mois de préparation
- Assouplissements des nouvelles procédures CSP pour ne plus avoir à passer par le SI CPF une fois l’éligibilité de la formation vérifiée. La date d’entrée en vigueur de la nouvelle disposition prévue dans la loi Macron de faire financer la formation CSP par tous les OPCA pourrait finalement être fixée au 1er janvier 2016, et pas en cours d’année 2015 comme c’était initialement envisagé
6/ La situation des organismes de formation est critique. Comment pensez-vous pouvoir débloquer la situation et quel est votre calendrier ? Y a-t-il déjà de bonnes nouvelles ? (interfaçage…)
La DGEFP est en contact régulier avec différents représentants des organismes de formation pour échanger sur la mise en œuvre de la réforme. Les différents ajustements que je viens de mentionner devraient faciliter la situation pour la prochaine rentrée.
Au delà nous travaillons aussi dans un groupe de travail, sous l’égide du secrétaire d’Etat à la réforme de l’Etat, pour améliorer les contractualisations entre les OPCA et les organismes de formation. On pourrait par exemple envisager de systématiser les avances à hauteur de 30% dans cette période de transition.
Il reste néanmoins que les organismes de formation ne doivent pas concentrer tous leurs efforts sur le CPF, et continuer à obtenir des contrats directement avec les entreprises sur le plan de formation. La réforme supprime la notion d’imputabilité et ouvre plus à l’innovation pédagogique, c’est un moteur en ce sens.
7/ Pour que les demandeurs d’emploi et les salariés puissent utiliser leur CPF, encore faut-il qu’ils en connaissent l’existence. Une campagne était prévue en ce début d’année. Qu’en est-il ?
Nous voulons que les process soit les plus aboutis possibles avant de communiquer très largement, de manière à ce que les titulaires (les salariés et les demandeurs d’emploi) voient leurs dossiers pris en charge et validés le plus rapidement possible, dans un système stabilisé. Nous poursuivons nos travaux d’animation sur le terrain, auprès des professionnels.
C’est pourquoi la communication grand public est prévue à l’automne.
8/ Comment voyez-vous la formation professionnelle en 2017 ?
Comme un nouveau système qui marche et qui est utile aux actifs, salariés comme demandeurs d’emploi, aux entreprises et à l’économie !