Il y a quelques mois désormais, j’ai pu échanger avec Olivier Baudrier, responsable de projets à l’Afpa et passionné de formation professionnelle, et oui il n’y a pas que moi 🙂
Ce dernier vient de rendre publique sa thèse sur le CPF “L’appli moncompteformation, l’outil qui va révolutionner le rapport à la formation ?”.
Ayant moi-même été correcteur de thèse pour l’école de commerce que j’ai eu le plaisir de faire, je sais à quel point c’est un exercice difficile, et au vu de la qualité de celle-ci, je souhaitais vous la partager.
Vous trouverez ici la synthèse de sa thèse sur le CPF, je vous partage également la vision d’Olivier Baudrier de la formation professionnelle et de son évolution.
“Arrivé à l’Afpa (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes) en 1996, j’ai vécu de l’intérieur la lente évolution du secteur de la formation continue. D’abord comme un loin murmure dans les premières années où l’enjeu de l’association qu’elle était à l’époque était de recruter près de 200 000 personnes par an, quasi-exclusivement des demandeurs d’emploi, avec des méthodes scientifiques d’orientation, et de les amener au Titre. Cela n’a pas duré longtemps avec la régionalisation des fonds de formation, puis – et surtout – par leur mise en concurrence grâce ou à cause de l’Union Européenne. Confrontée à un nouveau marché concurrentiel, l’Afpa ne pouvait que perdre des parts de marché et de l’activité sur les marchés publics, et devait trouver d’autres débouchés pour freiner la chute de chiffre d’affaires.
Le congé individuel de formation (CIF) a fait partie, avec le contrat de sécurisation professionnel (CSP), des marchés qui ont pris le relais pendant plusieurs années, et qui ont permis de compenser en partie l’activité perdue par ailleurs. Ces projets de formation professionnelle, prémices d’une demande directe des individus, s’insérant relativement facilement aux programmations des centres, ne posaient aucun problème et pouvaient s’intégrer à l’offre proposée sur le marché. Le droit individuel à la formation (DIF) posait plus de problème, de par sa finalité de perfectionnement et les faibles montants qu’il permettait de mobiliser. Le compte personnel de formation (CPF) dans sa première mouture également.
Ainsi, à l’arrivée du nouveau CPF, peu de décideurs en interne prirent ce nouveau financement comme une réelle opportunité. Et pourtant plusieurs de ses caractéristiques portaient déjà en germe des risques, ou des opportunités, de changements forts sur le marché de la formation : sa monétisation, sa désintermédiation, sa simplicité de mobilisation.
Dès le début de 2019, j’étais convaincu du fait que le CPF devait être abordé de façon radicalement différente des autres mesures. Etant à cette époque en charge de la mise en place de pôles relation clients dans chaque région, et auparavant du sourcing de demandeurs de formation par la mise en place de campagne de marketing opérationnel, je pensais que la demande qui nous était adressée allait changer en nature et en volumes, chaque actif pouvant potentiellement faire appel à nous pour ses recherches de formation.
En 2019, nous avons donc commencé à travailler sur le dossier CPF, en partant du volet que nous connaissions, à savoir l’offre de formation, pour la faire évoluer. A cette époque, le potentiel d’activité n’était pas repéré et les propositions d’évolutions furent timides et limitées, en termes de produits de formation adaptés à une demande individuelle. Et c’était normal, puisqu’en réalité nous connaissions très mal le client final individuel, ses attentes et ses besoins. Nous n’étions pas les seuls, la plupart des organismes traditionnels se trouvant dans la même incapacité à dresser le portrait de leurs clients potentiels.
Dans le même temps, j’avais pris conscience du fait que dans mon activité, le marketing, le métier avait fortement changé avec l’arrivée des réseaux sociaux, et surtout d’Internet sur les smartphones. La transformation numérique me touchait de plein fouet, tout comme mon entreprise. C’est en partant de ce constat que j’ai décidé de réaliser une formation, un MBA spécialisé dans le domaine de la transformation digitale, à l’Efap Paris, courant 2019.
Le sujet du CPF m’est vite apparu comme le terrain de jeu idéal pour mettre en œuvre une réflexion sur le changement apporté par le numérique dans la société, que ce soit du côté des organismes de formation et du client final. Il allait connaitre, de plus, une étape intéressante à observer en direct, à savoir le lancement de l’appli, qui était prévue dans le courant de 2019. Je pouvais donc étudier ce dispositif et en mesurer l’évolution, avant et après novembre 2019.
Passons rapidement sur la partie initiale de la thèse, le recueil des études et enquêtes concernant la thématique de la formation continue, même si elle m’a permis de repérer les thématiques majeures et les pistes de réflexion. Le volet principal de ma phase d’enquête a résidé dans une série de 20 entretiens avec des acteurs au cœur de cette révolution, que ce soit des experts de la pédagogie, du financement, des start-ups du domaine, des politiques, des journalistes, des influenceurs,…Tous m’ont apporté leur regard et ont enrichi ma réflexion. Tout comme deux séries de sondages réalisés auprès de panels d’actifs, sur leur connaissance du CPF ainsi que sur leurs pratiques d’achat de formation.
Au final, à l’issue de cette phase d’écoute, d’observation et d’analyse, il m’est apparu que les hypothèses que j’avais en tête avant la formation étaient confirmées, et même probablement dépassées par la réalité de cette réforme et de ce nouveau dispositif de financement. Il en ressort aujourd’hui un certain nombre de constats, de propositions et de convictions, développées dans la thèse, soutenue en juillet 2020.
Les innovations pédagogiques et technologiques se sont multipliées ces dernières années (blockchain, IA), et le Covid a fait basculer les acteurs vers le numérique définitivement. L’appli peut jouer un rôle important pour permettre au plus grand nombre d’accéder à la formation, notamment les actifs les plus fragilisés par le chômage et la précarité, ou les salariés de TPE et PME.
Dans sa configuration actuelle, essentiellement tournée vers la mécanique d’achat direct (droits, abondement, mise en relation), ce n’est pas encore le cas et le risque est grand que les plus fragiles et les moins à l’aise avec le numérique ne s’y retrouvent pas et ne l’utilisent pas. C’est le principal enjeu de son évolution dans une V2 qui soit plus aidante, plus pédagogique, plus tournée vers l’accompagnement tout au long de la vie professionnelle que vers la consommation.
A l’aune de cette analyse, ma principale conviction est la suivante : pour peu que des services et des fonctionnalités soient rapidement développés pour la V2 de l’appli CPF, celle-ci peut devenir un outil révolutionnaire au service de l’employabilité de chacun, un bouquet de services disposant d’une valeur d’usage unique et en capacité de résister aux plateformes numériques privées. Tout cela grâce à un écosystème riche, du big data (public), à une offre totalement repensée vers une orientation clients (souplesse du financement et du contenu, formats variés), et des actifs informés et acteurs de leur parcours professionnel. On n’en est pas loin, mais sans un effort de l’Etat pour enrichir l’outil, cette dynamique peut vite s’essouffler, et dans ce cas, on n’aura pas trouvé le chemin vers ce nouveau paradigme de l’éducation tout au long de la vie, que je baptise dans ma thèse l’apprentivité.”
Pour les plus curieux, vous pouvez également retrouver la thèse complète en cliquant ici.