Zoom sur les conséquences financières de la réforme du CPF pour les années à venir.
Le Gouvernement a confié le 18 novembre 2019 à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et à l’Inspection générale des finances (IGF) une mission sur les conséquences financières de la réforme et la trajectoire d’équilibre de France compétences. Créé au 1er janvier 2019, cet opérateur est chargé d’assurer le financement, la régulation et l’amélioration du système de la formation professionnelle et de l’apprentissage pour un montant annuel de 10 Md€.
Ce rapport met en évidence des besoins de financement antérieurs à la crise sanitaire, tant de court terme que de plus long terme. Ces besoins sont notamment liés à la reprise du financement en 2020, par l’opérateur, des contrats d’apprentissage conclus par les Régions antérieures à cette date. À plus long terme, les recettes de l’opérateur, assises sur la contribution des entreprises à l’apprentissage et à la formation sont insuffisantes face à la progression des dépenses du fait du développement de l’apprentissage et du recours au compte personnel de formation, liée en grande partie à la réforme de 2018. Le rapport met en effet en lumière, sur la base de plusieurs projections financières (élaborées dans un contexte pré-covid), le risque d’un déficit structurel croissant du système.
CPF et conséquences financières, où en est-on ?
Avec la loi du 5 septembre 2018, les pouvoirs publics ont souhaité donner une nouvelle impulsion au CPF en :
- Substituant une unité de compte en euros plutôt qu’en heures, permettant notamment de mieux assurer la portabilité des droits en cas de changement de situation et de faciliter la préhension par les personnes de leurs droits à formation ;
- Simplifiant le système des listes de formations éligibles jugées trop complexes,
- Simplifiant l’accès à la formation via une application numérique permettant de choisir et de payer la formation choisie, sans validation intermédiaire de l’employeur ou de Pôle emploi,
- Sécurisant son financement, avec une alimentation annuelle et la possibilité d’abondement complémentaire par l’employeur et Pôle emploi. La Caisse des dépôts et Consignations devient organisme gestionnaire du CPF.
Les premiers résultats répondent aux attentes : entre le 21 novembre 2019, date d’initiation de la campagne de communication sur l’application dédiée, et le 24 février 2020, 1 270 000 personnes ont activé leur profil et 154 000 actions de formation ont été engagées pour un montant de 170,2 M€ financé. Un dynamisme accru est attendu avec la mise en œuvre effective de la possibilité d’abondement des entreprises via l’application numérique, prévue pour septembre 2020.
Les actifs devraient se saisir plus fréquemment de leur compte personnel de formation, désormais monétisé et s’appuyant sur une application numérique. Toutefois, le CPF, entré en vigueur en 2015, a connu une montée en charge modérée, notamment auprès des salariés les moins qualifiés :
En 2018, 2,1 % des demandeurs d’emploi et 1,7 % des salariés du privé se sont formés en mobilisant leur CPF, avec un taux de recours de 1 % pour les ouvriers contre 2,7 % pour les cadres.
Objectif d’un million de formations financées par an pour le CPF… mais avec quel financement ?
Le Gouvernement a avancé un objectif d’un million de formations financées par an alors que 383 000 salariés sont entrés en formation en 2018 et environ 200 000 demandeurs d’emploi. Les projections réalisées par la Direction du budget et la Direction générale du Trésor font l’hypothèse d’un taux de recours progressivement croissant, de 2 % environ en 2018 à 5 % à horizon 2023, soit environ 1,2 million de formations financées par la Caisse des Dépôts et Consignations. Toutefois, aucune hypothèse n’a été réalisée quant au financement moyen mobilisé.
La Caisse des Dépôts et Consignations a également réalisé des travaux de projection en juillet 2019, pour établir un scénario de montée en charge des droits mobilisés par les salariés, mais sur la seule année 2020 à la date de la mission. Ces travaux ont conduit France compétences à retenir, pour la construction de son budget 2020, deux scénarios hypothétiques de croissance des dossiers financés de 7 % et de 25 %.
Quelle que soit la projection retenue, le dispositif de financement de l’apprentissage et de la formation professionnelle continue s’avère déficitaire les premières années de la réforme, à hypothèse de niveaux de prise en charge moyen constants des formations.
- A coût moyen de formation constant, le système de l’apprentissage et de la formation professionnelle continue est confronté à un sous-financement en 2020 et en 2021. En effet, même en simulant une croissance nulle de l’alternance et du CPF par rapport à 2019, le dispositif présenterait un solde de trésorerie déficitaire en 2020 et 2021. Les dépenses d’apprentissage, liées aux niveaux de prise en charge fixés fin 2019, et le montant des enveloppes fermées, ne sont ainsi pas couverts par les recettes prévisionnelles.
- L’ampleur de la perte comptable s’accroît dans les trois scénarios envisagés entre 2020 et 2022, du fait de la décorrélation entre l’évolution des charges et des produits, ces derniers restant assis sur la masse salariale des entreprises. L’apprentissage s’avère être la principale source du déséquilibre structurel car les dépenses liées à la hausse du nombre d’apprentis ne sont pas couvertes par une augmentation équivalente des recettes fiscales associées, notamment au regard des niveaux de rémunération des apprentis et du régime d’exonération de la CUFPA. En outre, si la dynamique de l’apprentissage peut se traduire par une baisse du nombre de contrats de professionnalisation, financés également par la CUFPA, le coût moyen unitaire des contrats d’apprentissage se révèle plus élevé.
- En 2023, le niveau de la perte comptable est particulièrement conditionné aux choix qui seront opérés sur le montant de la contribution à la formation des demandeurs d’emploi.
A noter : Les ressources affectées au CPF non utilisées au 31 décembre de chaque année sont conservées dans un fonds de garantie prévu par la loi. Cette réserve de précaution doit permettre de prendre en charge les éventuels besoins supplémentaires en cours d’exercice ultérieur et ainsi éviter l’impasse en gestion qui résulterait d’une montée en charge du CPF plus importante que prévu. Toutefois, la loi ne prévoit ni plafonnement du montant pouvant être versé par année au fonds de garantie ni montant maximal pouvant être détenu par le fonds, ce qui semble peu cohérent au regard du fait que France compétences aurait, en cas de besoins avérés de la CDC pour financer le CPF, la faculté de mobiliser des fonds complémentaires.
La mission estime ainsi que le principe d’une telle réserve de précaution pourrait être remis en cause, l’État étant garant de France compétences, ce qui permettrait l’allocation optimale des ressources dédiées à la formation professionnelle. La mission propose par conséquent de modifier le fonctionnement du dispositif actuel en abandonnant le préfinancement de la Caisse des dépôts et consignations au profit d’un ajustement mensuel de la trésorerie reconstitué à hauteur d’un mois et demi de trésorerie.
Pas de régulation possible pour le CPF ?
Le CPF est conçu comme un droit des salariés dont la valorisation et l’exercice sont peu régulés :
- Le CPF s’apparente à une forme de patrimoine personnel et intangible des salariés : les droits antérieurement acquis au titre du droit individuel à la formation (DIF) ont été transformés en euros et sont désormais incrémentés annuellement par un quantum défini par les textes, dans la limite d’un plafond ; il n’existe pas de disposition permettant de réguler ce quantum, sa valorisation, ou le plafond des droits acquis.
- La mobilisation de leur droit par les salariés est inconditionnelle dans la limite de l’éligibilité des formations.
- Il n’existe pas, au contraire de l’apprentissage, de régulation des coûts, et donc indirectement des prix, de l’offre des organismes de formation.
Les dépenses dépendent par conséquent exclusivement du taux de recours au CPF, à la seule discrétion des personnes, compte tenu par ailleurs des critères d’acquisition des droits. Si leur acquisition est modélisable sur la base de ces critères, en revanche, seules des hypothèses peuvent être élaborées à ce stade sur le taux de recours qui dépend de comportements dont il n’existe aucun historique. Il paraît cependant raisonnable de considérer qu’à court terme, l’introduction d’outils nouveaux permettant aux salariés de connaître et d’exercer plus facilement leur droit est de nature à susciter une inflexion à la hausse des dépenses.
Pistes de recommandations émises par la Mission
La conception même du CPF empêche en pratique tout mécanisme de régulation qui ne remette pas en cause son principe même. C’est pourquoi sur ce point la mission dépasserait le cadre qui lui a été assigné en formulant des recommandations. La mission a néanmoins tenu à recenser les pistes qui pourraient être explorées si une remise en cause du CPF dans sa forme actuelle était envisagée.
Selon l’ampleur souhaitée du mécanisme incitatif et ses délais de répercussion sur le taux de recours, différents mécanismes peuvent être imaginés :
- Instaurer un mécanisme de ticket modérateur pour plafonner la quote-part de la formation pouvant être financée via le CPF appliqué à certaines formations (permis de conduire) ; ce mécanisme présente l’avantage de la lisibilité, de la simplicité de mise en œuvre et sans doute l’effet le plus direct sur la dépense. Il est, en revanche, susceptible de brouiller le message politique sur les moyens alloués à chacun pour maîtriser son projet de formation. La différence pourrait être prise en charge par l’abondement des entreprises.
- Plafonner le montant pris en charge, considérant que le différentiel représenterait soit un reste à charge pour les particuliers soit relèverait de l’abondement des entreprises.
- La seule réforme paramétrique possible (mais à forte visibilité médiatique) serait d’abaisser le montant du crédit chargé annuellement par exemple de 500 € à 400 €.
Conséquences financières : L’impact budgétaire effectif d’une telle mesure serait cependant incertain et en tout état de cause très différé dans le temps. Pour ces raisons, son impact à l’horizon 2023 est assez douteux et non mesurable. Pour les catégories de personnes bénéficiant d’un abondement mensuel de 800 €, le montant du crédit chargé annuellement serait maintenu.
Sur le plan des conséquences financières autrement dit, sur le plan budgétaire, il présente l’inconvénient d’abaisser le niveau de reconstitution des comptes déjà mobilisés mais n’aurait pas d’effet sur le stock de salariés n’ayant encore pas mobilisés leur CPF au 31 décembre 2020. Son effet sur le court terme est donc très incertain. La mission constate cependant que dans le cadre du recours au CPF rénové, le coût moyen d’une formation prise en charge s’est réduit de 1 244 € fin novembre 2019 à 1 174 € fin février 2020, soit une baisse d’environ 6 % depuis la mise en place de « Mon compte formation » en novembre 2019. Le montant moyen de recours au CPF, et la proportion de saturation des CPF, pourraient être amenés à croître avec la possibilité d’abondement des employeurs sera possible à compter du second semestre 2020.
Si l’objectif politique du million de formations financées devait être atteint à un coût moyen de 1 000 € la formation, l’autorégulation du dispositif n’est pas à exclure.
Propositions du rapport sur le CPF et ses conséquences financières
- Proposition n° 14 : Dans la philosophie du CPF, il n’existe pas de mesures en phase avec l’esprit de la réforme. Néanmoins, si une inflexion significative de la réforme était assumée, les leviers suivants pourraient être actionnés :
- Proposition n° 14a : Instaurer un ticket modérateur sur l’utilisation du CPF ;
- Proposition n° 14b : Plafonner le montant pris en charge ;
- Proposition n° 14c : Abaisser le montant du crédit chargé annuellement.