Zoom sur les préconisations du rapport Bellon-Mériaux-Soussan en matière de formation des seniors.
Le 14 janvier 2020, Sophie Bellon, présidente du Conseil d’administration de Sodexo, Olivier Mériaux, ancien directeur de l’Anact et Jean-Marie Soussan DRH de Bouygues Construction ont remis à Muriel Pénicaud, ministre du Travail, leurs propositions pour favoriser l’activité professionnelle des travailleurs expérimentés. Ces axes de développement sont présentés dans le rapport intitulé « Favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés ».
En moyenne sur les années 2016 à 2018, à l’âge de 60 ans, près de 28 % des personnes ne sont ni en emploi ni à la retraite.
Par ailleurs, le poids des travailleurs âgés dans l’emploi salarié varie fortement selon les secteurs d’activité. La part des 50 ans et plus dans l’emploi salarié est plus élevée dans le secteur tertiaire (29,4 % en 2018, y compris les administrations publiques) que dans l’agriculture, la sylviculture et la pêche (28,5 %), l’industrie (28,7 %) et la construction (25 %).
Taux d’emploi des seniors en France : où en est-on ?
Les taux d’activité et d’emploi des seniors en France se sont fortement redressés depuis 15 à 20 ans.
Toutefois, selon les résultats du rapport Bellon-Mériaux-Soussan, le taux d’emploi diminue progressivement à partir de 53-54 ans, puis chute entre 59 et 62 ans, avant de diminuer davantage jusqu’à 65 ans et aux âges plus élevés.
En 2018, alors que le taux d’emploi des 50 à 54 ans s’établit à hauteur de celui des 25 à 49 ans (80,5 %, contre 80,6 %), le taux d’emploi des 55 à 59 ans se limite ainsi à 72, 1% et celui des 60 à 64 ans n’est que de 31 %.
Au-delà, les taux d’emploi des 65 à 69 ans et 70 ans et plus s’établissent respectivement à 6,5 % et 1,4 % en 2018.
Par ailleurs, le taux d’emploi des 55 à 64 ans en France demeure faible en comparaison internationale : 52,1 % en 2018, contre 58,7 % pour l’ensemble de l’Union européenne, et 61,4 % pour les pays de l’OCDE pris dans leur ensemble.
Pour nourrir la réflexion sur ce taux d’emploi des seniors, le Rapport rappelle :
« Comme le note le rapport récent de France Stratégie, l’appréciation des écarts de la France avec les pays européens ayant les taux d’emploi des seniors les plus élevés doit toutefois tenir compte de facteurs propres à certains d’entre eux, dont le développement massif du temps partiel chez certains (Pays-Bas, Suisse et dans une moindre mesure l’Allemagne) et un risque de pauvreté monétaire bien plus important lors du passage à la retraite chez d’autres (Suisse, Allemagne, Suède, Finlande) ce qui constitue vraisemblablement une forte incitation à prolonger leur activité pour certains seniors. Une majorité des pays du cœur et du Nord de l’Europe bénéficient en outre d’une situation économique et d’une performance globale en matière d’emploi meilleures que celle de la France. »
Taux d’emploi des seniors et niveau de diplôme
Comme dans les autres pays, la proportion de seniors en emploi en France s’accroît avec le niveau de diplôme initial des personnes, tant pour les hommes que pour les femmes :
« En 2018, le taux d’emploi des personnes de 50 ans et plus se limite à 37,7 % pour les personnes sans diplôme ou seulement titulaires d’un certificat d’étude primaire et à 48,9 % pour celles qui ne disposent que du brevet du collège, et il s’élève à 60,3 % pour les personnes ayant un diplôme de niveau Bac+2, et à 72,7 % pour celles disposant d’un niveau de diplôme supérieur. »
Les 5 axes stratégiques pour booster l’emploi des seniors
Le rapport formule cinq axes stratégiques :
- Mettre les enjeux du vieillissement au cœur des politiques de prévention et de santé au travail,
- Prévenir les risques d’obsolescence des compétences en seconde partie de carrière et favoriser la transmission des savoirs,
- Faciliter et organiser les mobilités et transitions professionnelles favorables au maintien en emploi,
- Favoriser des transitions plus progressives entre « pleine activité » et « pleine retraite »,
- Accélérer la transformation culturelle des organisations pour faire évoluer les représentations.
Ces cinq axes sont déclinés en une quarantaine de propositions concrètes, où la formation est largement évoquée.
« Prévenir les risques d’obsolescence des compétences en seconde partie de carrière et favoriser la transmission des savoirs » : les seniors et la formation
Le constat vis-à-vis des personnes formées en entreprise est alarmant. L’effort de formation des entreprises vis-à-vis de leurs salariés décroît très rapidement, à partir de 35 ans pour les employés et ouvriers, et de 50 ans pour les cadres. De leur côté, les salariés les plus expérimentés apparaissent généralement moins désireux de se former que les plus jeunes. Et c’est pourtant tout l’inverse qui serait souhaitable pour augmenter l’employabilité des seniors en fin de carrière !
Le rapport met en lumière le fait que globalement, les plans de développement des compétences des entreprises ne sont pas penser pour l’employabilité à long terme :
« Même si l’âge n’est jamais le seul facteur en cause des disparités constatées dans l’accès à la formation, il demeure que le système français de formation continue n’est pas spécialement favorable au développement des compétences « tout au long de la vie », ni ne permet de rééquilibrer les inégalités d’accès à la formation initiale. En outre, la réglementation et l’effort financier des entreprises sont essentiellement (et de plus en plus) mobilisés sur des objectifs d’adaptation immédiate au poste de travail ou aux évolutions technologiques, et ne contribuent que marginalement à des objectifs de reconversion à longue portée. »
Opérationnaliser les démarches de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences en modulant les obligations et objectifs selon la taille des entreprises
Parmi les objectifs qu’il vise, le rapport met en avant le suivant : « Opérationnaliser les démarches de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences en modulant les obligations et objectifs selon la taille des entreprises » avec comme propositions :
- Inscrire explicitement l’objectif du développement de l’employabilité des travailleurs âgés comme un volet de la négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des parcours professionnels prévue par le code du travail à l’article L. 2242-20.
- Dans les entreprises de plus de 300 salariés, rendre obligatoire la définition d’un plan d’action unilatéral en faveur de l’emploi des seniors lorsque la négociation obligatoire sur la gestion des emplois et des parcours professionnels n’aboutit pas.
- Pour les entreprises de moins de 300 salariés, renforcer les ressources méthodologiques et d’accompagnement : charger les branches d’élaborer des référentiels simplifiés pour des accords ou des plans d’action, renforcer les dispositifs publics d’appui RH en les ouvrant aux problématiques du vieillissement actif, positionner davantage les OPCO en appui de proximité, développer la dimension territoriale.
Renforcer les outils et pratiques de développement des compétences à l’abord de la seconde partie de carrière
Se maintenir dans l’emploi au-delà de 60 ans se prépare à un âge charnière qui se situe pour beaucoup de salariés autour de 45 ans. Ainsi, le rapport fait 3 propositions en ce sens :
- Evaluer la portée de « l’obligation d’employabilité » et des outils de droit commun qui la portent (entretien biennal notamment) sur la construction des trajectoires de seconde partie de carrière.
- Mettre en place un bilan de compétences “salarié expérimenté” (à partir de 20 ans d’expérience), avec une prise en charge financière à coût 0 pour le salarié, un cahier des charges spécifique et des opérateurs labélisés.
- Préciser les dispositions de l’article L. 6315-1 du code du travail afin que l’entretien professionnel biannuel aborde la seconde partie de carrière du salarié lorsque celui-ci a plus de 20 ans d’activité professionnelle. Initier, avec les organisations et associations professionnelles (FFP, ANDRH, GARF), un travail sur le référentiel de l’entretien professionnel des salariés expérimentés.
Former autrement en s’appuyant sur les savoirs issus de l’expérience et en les valorisant davantage
Si les entreprises forment peu les seniors, ces derniers sont aussi peu demandeurs de formation :
« Les seniors sont globalement peu demandeurs de formation : près des trois quarts des salariés âgés de 55 ans interrogés en 2012 déclaraient ne pas souhaiter suivre une formation (Dares, 2016), soit une part significativement plus élevée (de 10 points) que l’ensemble des salariés, et 85 % d’entre eux estimaient qu’ils n’en avaient pas besoin. »
De nombreux leviers sont ainsi à activer pour rendre les pratiques de formation plus « accueillantes » et valorisantes pour les travailleurs expérimentés, leurs identités professionnelles et leurs compétences.
Le rapport fait 2 préconisations :
- Engager un programme national d’innovation pédagogique pour mieux prendre en compte les spécificités des publics expérimentés dans la conception des actions de formation, notamment en situation de travail, en vue de faire évoluer le référentiel national de qualité des organismes de formation.
- Mieux reconnaître et valoriser l’expérience et les savoirs acquis en situation de travail, au travers de politiques de branche incitant à mobiliser les actions de formation en situation de travail – AFEST (art. L. 6313-2 ; D. 6313-3-2 c. Trav.), à développer des modalités de VAE collective et à permettre aux salariés seniors d’accéder au statut de tuteur et/ou maître d’apprentissage, ainsi qu’à une formation préalable à la relation pédagogique avec l’alternant.
Rééquilibrer l’effort de formation continue pour soutenir les transitions vers des « secondes carrières »
LE CPF est au cœur des discussions pour soutenir les transitions vers des secondes carrières. Les rapporteurs mettent en lumière les pistes suivantes :
- Accroître la part des dépenses publiques de formation consacrée aux dispositifs de reconversion et de transition (CPF de transition et Pro-A), en renforçant les modalités d’accès aux actifs à partir de 45 ans et à ceux ayant démarré leur carrière dans les métiers les plus exposés aux risques d’usure professionnelle.
- Inciter un déplafonnement du compte personnel de formation pour les salariés à partir de 45 ans, dans le cadre d’accords d’entreprise prévoyant un co-investissement pour des formations longues de reconversion.
- Prévoir un mécanisme d’incitation à mobiliser son CPF dans une perspective de préparation à la retraite “active” (bénévolat, mandats associatifs ou politiques, etc.) et adapter les formations éligibles dans cette perspective.
Que pensez-vous de ces préconisations sur la formation ? Les seniors vont-ils davantage s’impliquer dans une démarche de formation dans les années à venir ? Et vous, quel est votre rapport à la formation ?