Lors de son intervention à la 19ème édition de l’Université d’hiver de la formation professionnelle, Astrid Panan Bouvet, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle, a dressé un bilan lucide des réformes en cours tout en définissant les priorités pour l’avenir. Son discours a résonné comme un appel à une mobilisation collective autour de la formation tout au long de la vie, dans un contexte économique tendu.
La formation professionnelle : une priorité sous-estimée en France
Dès le début de son discours, la ministre a souligné une réalité marquante : « Dans un pays qui valorise excessivement le diplôme et la formation initiale, la formation professionnelle ne reçoit pas l’attention qu’elle mérite. » Pour elle, cette situation est une erreur, car la formation continue représente un levier clé pour éviter le « décrochage » de la France en matière de productivité et de compétences.
Elle a appelé à un débat « à la hauteur de l’enjeu », déclarant que les réformes récentes, notamment celles sur l’apprentissage et le Compte Personnel de Formation (CPF), ont permis de transformer en profondeur le secteur, mais que des efforts supplémentaires sont nécessaires.
Un constat alarmant : la France travaille moins que ses voisins
Astrid Panan Bouvet a livré un diagnostic sans complaisance : « La France est le pays qui travaille le moins de toute l’OCDE avec 664 heures par Français et par an, contre 730 heures en Allemagne et 770 heures au sein de l’Union européenne. » Elle a cependant nuancé, précisant que l’enjeu ne se situe pas uniquement dans la durée légale de travail mais dans la participation globale à l’activité économique.
Les faibles taux d’activité chez les jeunes et les seniors représentent un défi majeur. « Chez nos jeunes, c’est une insertion plus difficile sur le marché du travail, et chez nos seniors, ce sont des sorties précoces, » a-t-elle expliqué. Cette situation reflète, selon elle, un besoin pressant d’investir dans des formations adaptées.
Productivité et compétences : éviter le décrochage
La ministre a alerté sur le recul de la France dans les classements internationaux : « Nous sommes passés à la 24ème place sur 37 au sein de l’OCDE pour les compétences et à la 27ème place pour la productivité. » Elle a appelé à « mettre les bouchées doubles » pour inverser cette tendance, insistant sur l’impact direct de la formation sur la productivité : « Les salariés formés augmentent de 23 % leur productivité en moyenne comparé à ceux qui ne sont pas formés. »
Elle a salué l’engagement des employeurs, des branches professionnelles et des syndicats pour leur contribution à la définition des besoins en compétences et à la mise en place de dispositifs de formation.
Des dispositifs sous-utilisés et des simplifications nécessaires
Malgré des progrès notables, la ministre a déploré que certains outils restent trop complexes et peu mobilisés. Par exemple, le dispositif « Transitions Collectives » (Transco), pourtant emblématique, n’a permis que 800 reconversions depuis 2021. « Nous parlons beaucoup de Transco, mais cela ne concerne que 800 personnes. Nous ne sommes pas encore à l’échelle, » a-t-elle expliqué.
Elle a appelé à une simplification des outils comme Transco et ProA pour permettre aux entreprises de mieux les utiliser et de les intégrer dans leurs stratégies de compétences.
L’apprentissage : une révolution culturelle à poursuivre
La ministre a mis en avant la transformation spectaculaire de l’apprentissage en France depuis 2018 : « Nous avons réussi à changer complètement le regard sur l’apprentissage, en en faisant un parcours de réussite et de promotion sociale. » Elle a également cité des exemples inspirants, comme les WorldSkills à Lyon, qui témoignent de l’attractivité retrouvée de ces filières.
Cependant, elle a reconnu la nécessité de réduire les aides à l’embauche pour rendre cette politique soutenable, tout en promettant une concertation sur le financement des CFA jusqu’en février prochain.
Le CPF : un outil à maturité mais perfectible
La ministre a salué le 10ème anniversaire du CPF, qu’elle a décrit comme « un véritable outil RH », capable de développer des compétences stratégiques grâce au cofinancement des branches et des entreprises. Toutefois, elle a appelé à généraliser cette pratique, encore peu répandue : « Seulement six régions et sept OPCO pratiquent l’abondement du CPF. »
Une formation adaptée aux territoires et aux métiers en tension
La ministre a conclu en insistant sur la nécessité d’adapter l’offre de formation aux besoins locaux et aux métiers en tension. Elle a cité l’exemple du CAP de coutellerie à Decazeville, qui illustre l’importance d’une collaboration entre entreprises, syndicats et académies pour créer des formations sur mesure. « Les petits ruisseaux feront les grandes rivières avec de l’emploi qui n’est pas délocalisé, » a-t-elle affirmé.
Un appel à l’imagination et à l’engagement
Pour conclure, Astrid Panan Bouvet a appelé les acteurs présents à se mobiliser pour lever les obstacles, simplifier les dispositifs et imaginer de nouvelles solutions. « L’état, le réseau pour l’emploi et les partenaires sociaux ont la responsabilité de lever les obstacles. Mais les acteurs que vous êtes ont un devoir d’imagination, » a-t-elle déclaré.
Son discours s’est terminé sur une note d’optimisme : « Profitez de ces deux journées qui seront extrêmement riches, et surtout, une bonne année 2025 à vous. »
L’intervention de la ministre a réussi à mêler ambition, réalisme et volonté de mobiliser tous les acteurs de la formation professionnelle autour d’une vision commune pour faire de la compétence un pilier central du plein emploi.