Dans le cadre d’une webconférence sur “Les Stratégies CPF 2020” initiée par la société Unow, cinq spécialistes ont partagé leurs expériences et répondu en direct durant 2 heures sur les problématique de formation et du CPF. Zoom sur les enjeux et champs des possibles pour le CPF en 2020, pendant et après la crise sanitaire.
Le 2 avril 2020, plus de 400 participants ont assisté à cette webconférence autour du CPF, dont les échanges étaient menés par :
- Léa Roussette, chargée de développement RH – Groupe VYV
- Carine Garchery, Directrice de projets Partenariats à la Direction de la formation professionnelle de la Caisse des Dépôts
- Jean-Pierre Willems, Consultant en formation professionnelle – Expert du CPF
- Arnaud Portanelli, Cofondateur de Lingueo et Administrateur de la Fédération de la Formation Professionnelle #FFP
- Pierre Monclos, DRH et Expert en digital learning @ Unow
Enjeux et champs des possibles du CPF en 2020
Jean-Pierre Willems ouvre les échanges avec un point à date sur le CPF, avec la double crise économique et sanitaire.
Le CPF, c’est d’abord différents types d’enjeux. Bcp d’entreprises l’abordent parfois sous la dimension financière, mais il ne faut pas l’aborder de façon exclusivement financière ; il y a aussi un enjeu managérial. Aujourd’hui, dans cette période de confinement, la question est de savoir si l’on peut être utilisé aujourd’hui dans toutes les situations pour tous. Certes, les centres de formation physiques sont fermés, mais on peut aussi se former à distance quand on travaille
- Pour les personnes en activité partielle, il n’y a pas de problème de principe de se former pendant cette période, il faut que le salarié soit d’accord pour utiliser son CPF durant cette crise… ce qui est le principe même du CPF.
- Pour les salariés en arrêt maladie « classique », il existe la possibilité de se former avec un double accord CPAM et médecin traitant.
- Concernant les arrêts maladie pour garde d’enfant, on est dans un cadre dérogatoire, donc pas de souci pour se former.
- Dans tous les cas, si une personne veut se former via son CPF de façon autonome, elle peut le faire librement.
La Caisse des dépôts devrait annoncer un report d’échéance pour les modules d’abondement. Il n’empêche que le lancement de l’appli CPF n’a pas correspondu à une baisse du nombre d’utilisateurs du CPF. On est sur un étiage autour de 500 000 / 600 000 utilisateurs dans l’année. L’actualité a pu freiner le déploiement des politiques de formation, mais les demandes individuelles restent soutenues.
On a des entreprises qui ont des politiques et qu’elle sont mis en place sans attendre le module qui permettrait les abondements. Techniquement, elles ont plusieurs possibilités pour cofinancer le CPF des salariés, avec une relation directe avec le fournisseur de formation. Mais il faut prévoir sans doute du retard pour la sortie de ce module.
Dernier point : une ordonnance sur la formation professionnelle repousse au 31/12 le délai pour réaliser les entretiens professionnels, et repousse d’éventuelles pénalités. Ce délai supplémentaire donne la capacité de pourvoir négocier et signer un accord qui modifie la périodicité. On ne pouvait plus signer ce type d’accord car l’échéance de mars était passée. A partir du moment où cette période est réouverte, on peut donc renégocier un accord. S’il y a capacité à conduire un dialogue social, cela pourrait valoir le coup de s’interroger sur deux sujets : si je peux faire un accord qui me sécurise sur les entretiens professionnels, j’ai l’opportunité de le faire jusqu’à la fin de l’année. La contre-partie pour les représentants du personnel pourrait être une politique d’accompagnement du CPF des salariés ou de cofinancement
Le contexte n’empêche rien même si pour certains la situation est compliquée. On a peut être même une nouvelle opportunité de refaire du dialogue social avec le CPF grâce au prolongement du délai pour les entretiens professionnels
Pierre : fin 2019, on a fait une enquête notamment auprès d’entreprises de 1 000 salariés et +, pour savoir sur quelles thématiques elles comptaient s’orienter en 2020, soit quand elles allaient mobiliser du CPF autonome, soit faire du CPF co-construits. Les langues sont toujours en tête, les compétences métiers et les compétences transverses prennent aussi de plus en plus de place. Pour inciter plus les formations à se former, il faut montrer l’intérêt de se former au-delà de l’entreprise (communiquer, gérer son stress, prendre la parole en public, etc.). La bureautique reste dans le top 4.
Jean-Pierre : ce qui est important en entreprise quand on met en place une politique de CPF, c’est d’être capable d’expliquer aux salariés, aux représentants du personnel où est la ligne de partage entre le plan de développement des compétences et le CPF individuel. (…)
La question du cofinancement du CPF
Léa : sur le cofinancement, comment on peut imaginer la stratégie CPF… dans nos activités, il y a une vraie culture de la formation à développer sur comment on peut montrer la valeur ajoutée de mobiliser son CPF, comment ça vient servir des stratégies métiers au même titre que ça va servir à maintenir l’employabilité des collaborateurs. En tant qu’entreprise et responsable formation, il faut développer la valeur, dans la culture managériale : « Je peux répondre à la stratégie de l’entreprise tout en y voyant mon intérêt en maintenant mon employabilité »
Arnaud : pour moi y’a 3 étapes : les 3 « ion » :
- La responsabilisation avec l’individualisation : la responsabilisation de la formation, c’est déjà fait : la prise en main par l’individu. Le droit à la formation est individuel, il est réel… mais ça ne marchera pas sans les entreprises. L’individu, il faut qu’il se responsabilise, et c’est quelque chose qui va prendre 10 ans pour que l’état d’esprit change. Avant, on avait 7 dossiers sur 10 à l’initiative de l’entreprise.
- La co-construction : cela devrait arriver en juin (ou décalage du fait du coronavirus), comment l’entreprise prend l’individu par la main, mais aussi avec une logique de compétitivité entre entreprise.
- La protection : l’entreprise a cette responsabilité nouvelle de la protection. La formation a un rôle à jouer pour aider l’individu pour son employabilité et pour relancer l’économie. La FFP va lancer une campagne de sensibilisation en lien avec les Opco : « au lieu de licencier, formons ! Il faut accompagner les salariés dans leurs compétences.
Question chat : Quel est l’intérêt d’utiliser le CPF en activité partielle si l’Etat s’est engagé à financer les frais pédagogiques ?
Jean-Pierre : pour que l’Etat finance le cout pédagogique des formations pendant l’activité partielle, c’est selon un plan qui est déposé par l’entreprise auprès de la Dirrecte, et non pas demandes individuelles. C’est la Dirrecte qui valide ou non ce plan d’ensemble. On a tout de même quelques inconnues qu’il faut lever : toutes les formations sont-elles éligibles ? quel plafond ? Quel délai d’instruction ? Quel plan d’ensemble possible ?
Zoom sur le co-investissement du CPF
Pierre : il existe différents niveaux de co-investissements possibles avec le CPF autonome.
- Strate 1 : l’accompagnement des salariés. Cela va au-delà de l’information sur l’existence du CPF. Dans les pratiques les plus mises en avant, c’est de mettre en avec des événements sur le CPF : atelier pour créer son compte formation, « office hour », etc.
- Strate 2 : proposer un suivi de tout ou partie de la formation sur le temps de travail pour inciter le collaborateur à mobiliser son CPF. Parmi les incitations, il y a le fait de dire « si tu te formes tout ou partie sur ton temps de travail, tu seras rémunéré, tu n’auras pas à poser des congés payés pour cela ». Cela peut toutefois devenir compliqué quand dans l’entreprise, cela concerne un gros volume de personnes.
La présélection des formations
Pierre : La présélection consiste à identifier les formations qui feront partie de votre politique CPF. Pour sécuriser votre démarche sur le plan juridique, pensez à consulter en amont le CSE même si ce n’est pas mentionné de manière explicite dans la Loi.
Son intérêt est de trouver les formations adéquates aux besoins de l’entreprise et des collaborateurs. Vous pouvez aussi demander aux organismes les liens directs vers ces formations pour faciliter la prise de connaissance de vos collaborateurs. En les identifiant en amont, cela va vous permettre d’avoir un catalogue de qualité.
Arnaud : Trop de résultats pose un problème à l’individu qui ne sait, du coup, pas choisir. D’où l’intérêt de flécher des formations par le DRH, car le drh redirigera vers des formations de qualité.
Pierre : il faut tout faire pour « prémâcher » le travail de sélection des collaborateurs. En tant que responsable de formation ou RH, vous savez identifier les formations qui correspondent à leurs besoins. Cela leur fera gagner aussi du temps.
Léa : la question de savoir comment l’employeur prend la responsabilité d’accompagner sur le sujet pour faciliter la prise en main du CPF. Pr certains, ce n’est pas évident. Mettons à profit nos compétences d’acteurs de la formation pour mieux accompagner les collaborateurs, les aider à être autonome dans leur parcours de formation. C’est un élément clé, une façon d’accompagner qui peut aussi légitimer et valoriser le responsable de formation. (…) Cela vient aussi poser la question du conseil en évolution professionnelle.
En tant qu’entreprise, peut-on négocier des tarifs dans le cadre du CPF en 2020 ?
Pierre : pour les entreprises qui envisagent de négocier des tarifs avec une entreprise (c’est possible). Exemple de Unow avec ses clients : on propose un pack de licences pour former plusieurs centaines de collaborateurs, avec des tarifs dégressifs lié au volume de licence. En pratique, on devra identifier chaque collaborateur quand il fait sa demande de formation pour lui faire bénéficier de la réduction de tarif.
Arnaud : on parle de catalogue, mais en entrant en contact avec un organisme de formation, on peut créer des formations CPF plus spécifiques aux besoins de chaque entreprise. Chez Lingueo, nous travaillons avec un grand aviateur français a des formations en langues pour la prise de parole avec la clientèle en vol dans le cadre du CPF. La formation est créée de façon spécifique pour cette entreprise, même si elle est visible de tous. (…)
Jean-Pierre : la question d’une offre réservée à une entreprise est en réflexion à la Caisse des dépôts. On est dans une période ou le pragmatisme s’impose à tout le monde. On devrait certainement avoir la possibilité d’adresser certaines offres à des entreprises en particulier.
Pierre : il est possible de modifier les durées de formation proposées via le CPF. Vous pouvez aussi demander à l’organisme d’aménager les objectifs pédagogiques pour intégrer quelques spécificités qui reste dans le périmètre initial, toujours dans la limite du référentiel de compétences. De même, un changement de dates est possible.
Arnaud : il faut se rapprocher des organismes de formation pour les DRH. En faisant un accord avec le prestataire, cela garantit la transparence que le salarié s’est engagé dans la formation fléchée via son CPF. Cela aidera le DRH à suivre les formations, et les formations abondées en particulier.
Jean-Pierre : beaucoup d’entreprises préféreront continuer à travailler en direct avec les organismes de formation, plutôt que par le module.
Pierre : les abondements peuvent être définis en amont (forfait, ratio) ou par de la gestion au cas par cas. A partir de juin 2020, il devrait être possible de co-financer avec un versement volontaire.
Témoignage du Groupe VYV
Former plus et former mieux avec des réponses adaptées aux besoins de chaque métier et de chacun des collaborateurs. On réfléchit à différents dispositifs autour de l’afest et de la formation en distanciel. Notre objectif est de structurer le développement et l’accompagnement des métiers des managers et des collaborateurs.
Aujourd’hui, on se situe sur des actions de communication pour travailler autour de la culture de la formation, de la sensibilisation au CPF. On a travaillé sur une communication pratique : à quoi ça sert ? comment se servir du CPF ? comment mobiliser les anciennes heures DIF ? Une entité a organisé des rencontres physiques « café RH » avec les salariés pour parler de l’appli CPF et répondre aux questions de chacun.
On est sur des cofinancements au cas par cas, dans notre Groupe, avec des formations longues diplômantes. Nous souhaitons communiquer aussi sur des formations métiers plus courtes. L’an dernier on a construit un catalogue digitalisé pour l’ensemble des entités (formations internes et externes) répondant aux RH, aux managers et aux collaborateurs. Dans notre v2 on pourrait pré-flécher et communiquer sur des formations éligibles au CPF. On souhaite proposer des formations avec une vraie valeur ajoutée pour chacun. Sur la déficience sensorielle, on peut aller vers des formations de langues des signes, par exemple. Sur les activités de soin, le digital n’est pas culturellement déployé pour le moment. Les équipes de soin ne sont pas équipées d’ordinateur, ce qui limite la formation à distance.
On mobilise toutes nos entités et tous les partenaires possibles pour travailler ensemble et essayer d’imaginer des politiques de financement et de modalités pédagogiques, autour de la formation et de la stratégie CPF.
Pierre : on oublie souvent d’associer les Opco, alors qu’ils peuvent aider les entreprises dans la structuration des offres.
Focus sur l’application CPF
Carine Garchery, Directrice de projets Partenariats à la Direction de la formation professionnelle de la Caisse des Dépôts fait le point sur l’appli CPF :
“MonCompteFormation a été lancé le 21 novembre, dans les délais prévus. De fin novembre à fin février, les chiffres ont connu une progression assez rapide et constante. On a dépassé le million de téléchargements, qui correspondent peu ou prou aux créations de comptes. Ils sont à ajouter au 9 millions de compte CPF déjà ouverts. Sur la période, l’appli a eu plus de 5 millions de visiteurs uniques.
Ce développement se ressent également du côté de l’offre de formation avec 11 575 organismes de formation contre 4 200 lors du lancement.
On a une variété des certifications qui s’est étoffée au fur et à mesure de ces 3 premiers mois. Aujourd’hui, on en dénombre 3 720.
Au niveau des grands domaines de formation, on se rend compte que les demandes des usagers se portent significativement sur deux domaines d’activité : le champ du transport, avec particulièrement le permis B puis le champ des langues (d’ailleurs 45 % du catalogue est dédié aux langues). On a un 3e lot un peu plus varié avec le bilan de compétences, et actions de formation pour les créateurs d’entreprises.
A noter : on constate une progression des formations en ligne (10 %) depuis la crise sanitaire du covid-19 et le confinement.
Cette dynamique générale devrait encore progresser avec la mise en place des abondements. Ces abondements ont été imaginés dans une logique de coconstruction (ateliers, groupes de travail avec les organismes de formation, travaux de concertation avec un panel d’entreprise, tests utilisateurs).
D’abord, nous avons prévu de lancer les abondements de Pole Emploi, et dans un second temps les abondements Entreprises.
En matière d’abondements, la loi prévoit 2 grands cas de figure. Elle permet la possibilité pour un financeur d’alimenter le compte du titulaire soit pour compléter les droits acquis sans lien direct avec un projet de formation, soit en vue de financer une formation ciblée dans la mesure où le titulaire ne dispose pas de suffisamment de fonds sur son CPF.
Le portail Entreprise était prévu à compter de fin juin, au regard du contexte, on essaye de voir ce qui va pouvoir être fait, avec un peu de retard. On sait que la demande est forte. Pour les abondements, on parle de paiement par CB ou par virement. Quand la Caisse des Dépôts recevra la dotation définie pour un salarié (montant fixé dans le cadre de la politique de formation de l’entreprise concernée), le salarié verra son compte abondé pour utiliser la somme versée en complément de son CPF. De son côté le salarié pourra également solliciter son employeur pour envisager un cofinancement, pour un « reste à charge », par exemple.
Ce qu’on va mettre en place à moyen terme, c’est la possibilité de travailler sur un catalogue de formation spécifique à une entreprise, accessible avec un code. Cela permettra à chacun des salariés de cette entreprise de bénéficier du tarif négocié.”