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Entretien avec Laurent Durain, Directeur de la formation professionnelle et des compétences (Caisse des Dépôts)

Laurent Durain : entretien sur les amendements luttant contre la fraude au CPF

En ce jeudi 13 octobre 2022, le cabinet de la ministre Carole Grandjean vient de réunir les représentants des organismes de formation pour évoquer ensemble les dispositions relatives aux amendements pour lutter contre le démarchage abusif dans le cadre du CPF. A cette occasion, Laurent Durain, Directeur de la formation professionnelle et des compétences de la Direction des politiques sociales de la Caisses des Dépôts a répondu à nos questions sur ce sujet.

Le 6 octobre 2022, les amendements visant à lutter contre le démarchage abusif dans le cadre du CPF ont été votés. Pouvez-vous nous rappeler le contexte de cette proposition de Loi ?

Ce texte du groupe Démocrate prévoit l’interdiction du démarchage abusif du CPF. L’Assemblée nationale l’a adopté, en première lecture, à l’unanimité. Il faut se souvenir qu’une proposition allant dans le même sens avait été proposée dans le précédent Projet de Loi de Finances. Ce dernier ayant été rejeté dans son ensemble par le Sénat, l’amendement n’était pas passé. Catherine Fabre, alors députée LREM de Gironde avait déposé en février dernier (avant la fin de la précédente législature) une proposition de Loi contre le démarchage pour inciter l’achat de formation via le CPF. Nous sommes aujourd’hui dans la continuité des travaux sur ces textes, avec une analyse plus en profondeur et un texte en première lecture qui ressort plus riche.

Cette proposition de Loi est protectrice pour les organismes de formation. Elle clarifie aussi le caractère de service public et non pas de droit commercial du CPF. Elle vise à assoir juridiquement les leviers d’action.

Concrètement qu’est-ce que ce vote va changer ?

La vocation de la Loi n’est pas d’empêcher toute relation commerciale et contractuelle pour les organismes de formation avec les individus. Il ne s’agit pas d’interdire aux organismes de bonne foi de faire de la publicité pour les prestations de qualité.

Dans le texte voté, le mot à souligner est « abusif » dans « démarchage abusif ». La Loi vise uniquement à supprimer le caractère agressif, intrusif, les actions menées par certains dans la zone grise de la Loi, en jouant sur les mots. Elle vise à ce que, dans le champ de la formation professionnelle, l’information soit sincère et transparente. Cela ne vise absolument pas les organismes de formation qui ont des pratiques Qualiopi et qui gèrent leurs activités avec intégrité et éthique.

C’est l’occasion de rappeler que les organismes de formation ont énormément contribué au fait que le CPF devienne un dispositif connu du grand public. Maintenant on entre dans une nouvelle phase dans laquelle les individus connaissent l’existence du CPF. La question pour les organismes de formation est désormais du type « dois-je avoir des démarches commerciales fortes ou dois-je me concentrer sur l’accompagnement des personnes avec lesquelles je suis déjà en contact ? ».

Pouvez-vous donner quelques cas concrets de démarchage abusif ?

Nous avons eu des signalements de sites frauduleux, de communications sur les réseaux sociaux avec un caractère mensonger, des numéros de téléphone qui envoient des campagnes de SMS en masse, etc. Mais lorsque l’on se retournait vers les opérateurs de téléphonie ou les réseaux sociaux pour faire stopper ces agissements, ils nous répondaient, à juste titre, que nous n’avions pas de fondements légaux.

Avec cette proposition de Loi, collectivement – l’Etat, la Caisse des Dépôts, la DGCCRF – nous pourrons saisir les plateformes de téléphonie pour faire cesser cela en évoquant cet article. Les contrevenants seront passibles de poursuites pénales et d’une amende administrative de 75 000 euros pour les personnes physiques et de 375 000 euros pour les entreprises.

Les amendements viennent renforcer le pouvoir de la Caisse des dépôts. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Depuis 35 ans il n’y a jamais eu autant de formations suivies par des adultes que depuis la création du CPF. Près de trois millions de dossiers ont été gérés ! Et depuis janvier 2022, 1,5 millions de personnes ont été formées.

Aujourd’hui, nous sommes à un stade où la priorité est la restauration de la confiance. N’oublions pas que le CPF est un service public et pas un service commercial. Sur la plateforme les organismes de formation sont en « coopétition ».

On a tous collectivement une étape à franchir : celle de redonner confiance, expliquer aux usages ce qu’ils peuvent faire ou non, et ainsi assainir l’image du dispositif.

Nous avons tous envie d’être sur une place de marché dans laquelle il y a de la transparence, de la sincérité et de l’éthique. L’image du CPF, c’est l’image de la formation professionnelle, c’est l’image des organismes de formation.

L’objectif de la Caisse des Dépôts est d’accompagner et de prévenir plutôt que de sanctionner. C’est aussi de sécuriser l’activité des organismes de formation sur la plateforme.

Au dernier moment un amendement concernant la sous-traitance a été ajouté et voté. Il inquiète de nombreux professionnels du secteur qui redoutent un usage abusif du texte leur demandant une application quasi impossible. Qu’en est-il ?

Que ce soit dans le démarchage ou la sous-traitance, l’essentiel est de trouver le juste équilibre entre la restauration de l’image de confiance du CPF et la nécessité d’activité des organismes de formation.

Concernant spécifiquement la sous-traitance, le Cabinet de la ministre Carole Grandjean a indiqué aux organismes de formation qu’une concertation serait mise en place sur le contenu du décret.

La cible visée, ce sont les organismes de formation qui ne seraient pas en capacité de remplir les critères Qualiopi, par exemple, et qui seraient tentés de s’abriter derrière des mécanismes de sous-traitance. Nous visons aussi les « brokers », des entreprises qui ne font pas de la formation mais simplement de l’achat/revente, pas forcément soucieux de la qualité, de l’éthique et de l’intérêt général.

Le 6 octobre dernier un grand nombre de fonctionnalités ont été ajoutées à EDOF (espace des organismes de formation), notamment sur la procédure d’enregistrement côté organisme de formation. Pouvez-vous nous en dire plus ?

C’est pour nous l’opportunité de former les organismes de formation sur les CGU, de nous assurer que leur catalogue est cohérent avec les règles d’éligibilité et qu’en tant qu’entreprises, ils présentent les diligences d’honorabilité.

La procédure d’enregistrement se déroule en deux étapes :

Après analyse et éventuelles demandes complémentaires, la Caisse des Dépôts notifie à l’organisme sa décision indiquant s’il peut intégrer la plateforme et commencer à y déposer ses offres.

Nous débutons par les nouveaux entrants avant d’élargie la procédure à l’ensemble des organismes de formation inscrits sur MonCompteFormation dès que la proposition de Loi sera promulguée, probablement début 2023.

Propos recueillis par Sandrine Damie – 13/10/2022

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