Publié le 30 juin 2023, le rapport de la Cour des Comptes sur la formation professionnelle dresse un premier bilan de la réforme de 2018.
La loi du 5 septembre de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel en a profondément modifié les dispositifs et, au-delà, le paysage même de la formation professionnelle.
La réduction du nombre d’organismes gestionnaires et la modification profonde de leurs missions visait à la fois à accompagner la priorité accordée à l’alternance, à constituer un système unique d’alternance et de formation professionnelle – par le financement comme par la gestion – et à simplifier ce dernier. Créé au 1er janvier 2019, le nouvel opérateur France compétences a su prendre en charge très rapidement ses missions les plus urgentes, mais le déficit structurel de financement de l’apprentissage le prive de la plupart de ses marges de manœuvre pour le financement de la formation professionnelle.
Ainsi, depuis 2019, France compétences a entrepris un examen rigoureux des demandes d’enregistrement de certifications professionnelles conduisant au rejet des demandes qui ne démontraient pas une utilité suffisante. Selon ce rapport de la Cour des Comptes, il est essentiel d’appliquer à l’avenir des critères tout aussi stricts aux certifications professionnelles émanant des ministères. Par ailleurs, la découpe systématique des certifications en blocs de compétences est une approche qui semble pertinente et qui mérite d’être approfondie afin de faciliter les transitions professionnelles.
Dans le cadre de cette réforme, un effort a également été fait pour renforcer la professionnalisation des organismes de formation en introduisant le label qualité Qualiopi. Cependant, certaines fraudes ont été identifiées.
L’absence de soutenabilité financière : un problème majeur non résolu selon la Cour des Comptes
La mise en œuvre de la réforme de 2018 n’a pas assuré l’équilibre financier du système de la formation professionnelle et de l’alternance. Dès 2020, des déficits sont apparus dans les comptes de France compétences, exacerbés par le contexte de la crise sanitaire. En 2022, les ressources habituelles de l’établissement public, provenant principalement des contributions des entreprises (environ 10 milliards d’euros), ont à peine suffi à couvrir les dépenses liées à l’alternance.
Pour combler ces lacunes financières, France compétences a dû recourir en permanence à des emprunts à court terme et bénéficier de dotations exceptionnelles de l’État, qui se sont élevées à ce jour à 8,4 milliards d’euros (dont 4 milliards d’euros pour l’année 2022 seulement). Cependant, ces solutions temporaires ne sont pas satisfaisantes pour garantir la viabilité à long terme du système. Il est impératif que l’État et France compétences mettent en place rapidement les conditions nécessaires pour atteindre l’équilibre financier.
Dans ce contexte, il apparaît inévitable que l’État fournisse un soutien financier pérenne pour le financement des contrats d’apprentissage afin d’atteindre l’objectif fixé par le Président de la République, qui est d’accueillir un million de nouveaux apprentis d’ici 2027.
Le pilotage stratégique de la formation professionnelle : les limites de la réforme de 2018
La réforme de 2018 a accru la place de l’État dans le champ de la formation, tendance renforcée dans le contexte de la crise sanitaire qui a occasionné des financements massifs. Pour autant, les orientations stratégiques définies à l’occasion de la crise ou dans des plans de long terme tels que France 2030 peinent à irriguer les nombreux dispositifs de la formation professionnelle. De même, des enjeux majeurs tels que les transitions professionnelles ou la lutte contre la fraude ont donné lieu à des décisions souvent tardives et incomplètes.
De fait, la loi du 5 septembre de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel n’a pas apporté de solution satisfaisante à la gouvernance de l’ensemble du secteur. Il convient d’y remédier dans un cadre institutionnel renouvelé, afin de mieux associer les partenaires sociaux à la définition d’objectifs stratégiques, mais aussi à la fixation d’orientations concernant les dispositifs gérés par la Caisse des dépôts, notamment le CPF.
La réforme de 2018 a conservé deux grands réseaux d’acteurs paritaires : celui des Opco qui travaillent principalement avec les branches professionnelles et les entreprises, et celui des associations Transitions Pro qui, elles, sont en relation avec les salariés . Des coopérations entre les deux réseaux se développent ; à terme, la fusion du réseau des associations Transitions Pro au sein des Opco pourrait parachever la réforme en réduisant le nombre de réseaux chargés des transitions professionnelles et en mettant mieux en cohérence les projets individuels avec les besoins en compétences des entreprises . L’État doit, pour sa part, renforcer le pilotage stratégique et opérationnel de ce champ majeur de la politique de formation professionnelle.
A noter : la transformation de vingt organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) en onze opérateurs de compétences (Opco) présente un bilan positif. La prise en compte des nouvelles missions, notamment le financement de l’apprentissage et le développement du conseil et du soutien aux TPE-PME, s’est faite dans de bonnes conditions, de même que la gestion du FNE-Formation, dispositif créé par l’État en 2020 dans le contexte de la crise sanitaire.
Le développement de l’accès à la formation professionnelle : des avancées au prix de dérives
Zoom sur le CPF
La « démocratisation » du recours au CPF constituait l’un des objectifs majeurs de la réforme. Le recours au CPF s’est fortement accru, au-delà des attentes, depuis septembre 2020, le nombre annuel de dossiers passant d’environ 500 000 à 600 000 avant la réforme à plus de deux millions dès 2021. Ces résultats se sont accompagnés d’effets indésirables et souvent non anticipés. La facilité d’utilisation du CPF et l’important marché qu’il représente (plusieurs milliards d’euros par an) ont conduit à des dérives importantes, comme le démarchage abusif et la fraude . La régulation de l’offre de formation, l’intensification des contrôles et la mobilisation de l’ensemble des services de l’État chargés de la lutte contre la fraude, surtout fin 2021 et en 2022, ont joué un rôle utile, mais n’ont pas permis à ce jour d’endiguer toutes ces dérives, même si quelques signes d’améliorations sont apparus fin 2022.
Plusieurs mesures, comme la régulation de l’offre de formation (non-renouvellement de certifications concourant insuffisamment à l’élévation du niveau de compétences ou de la capacité à occuper un emploi) ou l’instauration d’un reste à charge lors de l’achat de formations, devraient contribuer à l’amélioration qualitative du CPF. Cette dernière mesure, recommandée par la Cour sous réserve d’un calibrage adéquat afin de ne pas dissuader les personnes peu qualifiées, devrait limiter les achats « d’impulsion » et inciter les actifs à choisir des formations plus à même de sécuriser leur parcours professionnel. Il reste à prendre les textes d’application de la mesure prise en loi de finances initiale pour 2023, après la phase de concertation engagée par le ministère chargé du travail.
La formation au sein des TPE-PME
La réforme visait aussi à renforcer le recours des TPE-PME à la formation professionnelle en réservant le soutien sur fonds issus des contributions légalement obligatoires aux entreprises de moins de 50 salariés et en incitant les Opco à développer l’activité de conseil à leur égard. L’organisation par les Opco de services de proximité plus développés et de politiques massives d’information ainsi que, le cas échéant, de conseil des petites entreprises a eu un effet utile .Mais c’est principalement grâce aux moyens exceptionnels mobilisés par l’État pendant la crise sanitaire, au titre du FNE-Formation de crise et de l’apprentissage, que cet objectif a pu être réalisé.
Les insuffisances actuelles de la labellisation Qualiopi
La réforme de 2018 a aussi renforcé la professionnalisation des organismes de formation en instaurant un nouveau label de qualité, Qualiopi, condition sine qua nonpour accéder aux financements sur fonds publics depuis le 1erjanvier 2022 . Près de 40 000 organismes ont obtenu cette certification à ce jour.
Le processus de certification a été confié à l’instance nationale de certification, le Cofrac, qui a accrédité à ce jour 34 prestataires (organismes certificateurs) chargés de délivrer cette certification aux organismes de formation qui la sollicitent, après vérification des conditions définies dans un référentiel national qualité arrêté par le ministère chargé du travail.
Il convient dans le même temps de réaffirmer le rôle des financeurs institutionnels en matière de contrôle et de clarifier l’articulation entre contrôle du service fait et contrôle de la qualité qui relèvent de leurs attributions afin de renforcer l’articulation entre la lutte contre la fraude et la démarche qualité.
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