Le marché des formations linguistiques est en pleine transformation. Entre les consolidations d’acteurs, l’essor de l’intelligence artificielle dans l’apprentissage et les évolutions des attentes en B2B comme en B2C, l’année 2025 marque un tournant. Certains acteurs historiques disparaissent, d’autres adaptent leur modèle pour répondre aux nouvelles exigences des entreprises et des particuliers.
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Les grandes manœuvres du marché de la formation en langues : faillites, rachats et mutations
Les trois dernières années, plusieurs acteurs réputés de la formation en langues ont connu des déboires. Berlitz France Licorne (BFL) a ainsi été placé en liquidation judiciaire en mai 2022, marquant la fin de cette filiale française de Berlitz.

Un autre pionnier, Télélangue, spécialiste de la formation linguistique à distance, a également été liquidée en 2024 (extraits), tournant ainsi la page d’un acteur historique du secteur.
De son côté, le groupe Xynergy (connu pour sa marque Comme J’aime) a fait une incursion dans le domaine des langues en acquérant Linguaphone fin 2022. Cette acquisition, témoigne de l’attrait des investisseurs extérieurs pour le marché de la formation en langues.
En parallèle, le marché a connu des regroupements et des mutations. Le Groupe Monceau Education (GME), acteur positionné sur la formation linguistique haut de gamme en présentiel, a racheté Élysées Langues fin 2023, élargissant ainsi son offre vers le coaching linguistique. De son côté, Learnation s’est constitué en 2022 par l’acquisition des marques Educastream, 1to1PROGRESS et 7Speaking. Ces mariages sont des opérations complexes et génératrices de difficultés, qui semblent avoir poussé ce groupe à se recentrer sur le segment professionnel. Par ailleurs, le média du groupe CPF-info a cessé de publier un an après cette consolidation.
Critiques croissantes envers les applications mobiles
Parallèlement aux restructurations du marché de la formation en langues, on observe une remise en question des applications mobiles grand public d’apprentissage des langues. Des apps comme Duolingo, bien qu’ultra-populaires (plus de 500 millions d’utilisateurs dans le monde) et efficaces pour motiver une pratique quotidienne ludique, sont de plus en plus critiquées pour leur efficacité limitée en contexte professionnel.
En effet, si ces outils gamifiés encouragent la régularité d’apprentissage, ils manquent d’interactions humaines et de mise en pratique réelle. Comme le témoigne une utilisatrice à propos de ces formations 100% en ligne : « Je pense que c’est juste pour passer du temps sur l’appli, mais c’est pas pour apprendre la langue » (Duolingo, Babbel: les applis sont-elles aussi efficaces qu’un cours de langue étrangère ? | TF1). Autrement dit, les progrès restent superficiels et insuffisants pour acquérir une aisance professionnelle.

En outre, le design même de ces applications est parfois jugé « addictif » – exploitant des mécanismes de ludification similaires aux réseaux sociaux pour fidéliser l’utilisateur (Comment Duolingo rend l’apprentissage du français addictif). Cela rend l’apprentissage plaisant, mais peut inciter à accumuler les points et séries plus qu’à développer de réelles compétences communicatives.
Duolingo, par exemple, utilise des notifications push et le système du streak (série de jours consécutifs) pour pousser ses usagers à revenir quotidiennement.
Si cette approche entretient l’engagement (« une petite chouette verte [a rendu] des millions d’utilisateurs accros », elle n’assure pas pour autant une progression linguistique substantielle.
Enfin, ces applications souffrent de l’absence de certification officielle. Or, en France notamment, la validation des compétences linguistiques passe par des tests reconnus (TOEIC, LILATE, etc.). inscrits au répertoire de France Compétences pour être éligibles au financement CPF (Obtenir une certification reconnue en langues vivantes). Les parcours sur mobile n’aboutissent généralement à aucun diplôme ni certificat reconnu par les employeurs, ce qui limite leur valeur sur un CV. Concrètement, un salarié ne peut pas faire financer une formation purement sur app via son CPF, faute de certification en sortie. Cette non-reconnaissance institutionnelle des apps renforce l’idée qu’elles relèvent davantage du loisir éducatif que d’une formation professionnelle aboutie.
Stratégies gagnantes et diversification des offres
Face à ces constats, certains acteurs misent sur la diversification et l’innovation. C’est le cas de Lingueo pionnière de la formation linguistique en visioconférence depuis 2007, qui étoffer son modèle en développant ses propres produits technologiques. En 2017, Lingueo est devenu certificateur en lançant le LILATE (Live Language Test), un test d’évaluation des compétences linguistiques professionnelles en conditions réelles. Ce certificat multilingue inscrit au Répertoire Spécifique de France Compétences, permet de valider en fin de parcours la capacité d’un candidat à travailler dans une langue étrangère. Le LILATE s’est imposé en quelques années comme une référence pour certifier les acquis d’une formation sur mesure.
Aujourd’hui, Lingueo continue d’innover en anticipant les besoins émergents et avons présenté une nouveauté baptisée E-LATE – pour Évaluation Linguistique Assistée par Technologie d’IA – annoncée comme le premier test de positionnement linguistique adaptatif exploitant l’IA (Evaluation des langues par l’IA : Lingueo dévoile sa première brique E-LATE – RH Matin ). Cet outil, développé en partenariat avec l’expert en IA Luc Julia, génère des mises en situation professionnelles sur mesure afin d’évaluer en 30 minutes le niveau d’un apprenant sur les quatre compétences (compréhension et expression, écrites et orales). L’E-LATE vise à cartographier les compétences linguistiques en amont d’une formation, pour permettre aux entreprises de personnaliser les parcours : identifier précisément les besoins de chaque collaborateur, ajuster le contenu des cours en fonction du métier, et mesurer le progrès de façon objective.
Cette initiative illustre l’adaptation aux nouvelles exigences des entreprises et grands groupes, qui cherchent des solutions toujours plus pointues pour piloter leurs plans de formation et recruter à l’international. En combinant formation sur mesure, certification de fin de parcours (LILATE) et maintenant évaluation initiale par IA, Lingueo offre une chaîne de valeur complète, très alignée sur les attentes modernes des DRH en quête de ROI et de pertinence pédagogique.
L’importance de maîtriser sa propre technologie
Ces succès soulignent une tendance de fond : l’importance pour les opérateurs du secteur de maîtriser leur propre technologie et contenus, plutôt que de se limiter à un rôle d’agrégateur. La différence est notable entre un véritable organisme de formation intégré – qui développe sa plateforme pédagogique, ses outils (LMS propriétaire, classes virtuelles, IA, etc.) et parfois même ses certifications – et un simple revendeur de solutions existantes. De nombreuses petites structures se sont lancées ces dernières années en se contentant d’acheter des modules e-learning sur étagère ou de s’appuyer sur des plateformes génériques en marque blanche. Or, ces approches sous-traitées ont montré leurs limites, tant en termes d’expérience apprenant que de solidité économique.

Ne pas posséder sa techno fragilise la proposition de valeur : les organismes sans plateforme ni contenus propres peinent à se différencier et à convaincre les clients de la qualité de leur offre. À l’inverse, les acteurs ayant investi pour créer un écosystème unique (interface utilisateur dédiée, parcours pédagogiques originaux, adaptativité, analytics…) bénéficient d’une plus grande crédibilité. Ils peuvent ajuster rapidement leurs outils aux évolutions (ex : intégrer de l’IA générative dans leur LMS, comme le fait Lingueo), et prouver leur expertise par l’innovation.
D’un point de vue stratégique, intégrer la chaîne de valeur permet aussi de mieux contrôler les coûts et d’éviter la dépendance vis-à-vis d’éditeurs tiers. Dans un marché où la qualité de l’expérience apprenant est déterminante, disposer de sa propre plateforme est un atout majeur pour embarquer les apprenants et répondre aux besoins spécifiques des entreprises clientes. On assiste ainsi à une professionnalisation du secteur : les organismes de formation en langues tendent à devenir de véritables edtechs, conjuguant savoir-faire pédagogique et maîtrise technologique, plutôt que de simples courtiers en formation. Ce mouvement devrait s’accentuer, écartant progressivement du marché les structures opportunistes qui n’apportent pas de valeur ajoutée technique ou pédagogique.
Distinction entre le B2C et le B2B : vers le premium personnalisé
Enfin, il convient de distinguer nettement les approches grand public (B2C) et entreprise (B2B) sur le marché des langues, car leurs logiques et leurs attentes divergent fortement. En B2C, l’offre privilégie souvent des formations à faible coût (voire gratuites) et des formats ludiques, attractifs pour le grand public. Qu’il s’agisse d’applications gamifiées, de cours en ligne en groupe mutualisé, ou de modules e-learning standardisés, ces solutions permettent à tout un chacun d’apprendre à son rythme pour un budget modique. Toutefois, le revers de la médaille est une efficacité limitée : sans accompagnement individualisé, l’engagement de l’apprenant fluctue et les résultats atteints restent modestes. Comme on l’a vu, beaucoup utilisent ces apps grand public « pour le fun » mais doivent admettre qu’ils n’oseront pas parler en situation réelle après des mois de pratique solitaire (Duolingo, Babbel… Les applis sont-elles aussi efficaces qu’un cours de langue étrangère ? | TF1). Le B2C répond à un désir de démocratisation (rendre l’apprentissage des langues accessible au plus grand nombre), mais souvent au prix d’un moindre impact pédagogique.
En B2B, les entreprises recherchent au contraire des solutions premium, calibrées pour des objectifs concrets de montée en compétence de leurs employés. Le mot d’ordre est à la personnalisation et à l’accompagnement expert. Typiquement, une formation linguistique financée par une entreprise (sur fonds propres ou via le CPF de ses salariés) combinera un coaching individuel avec un formateur expérimenté, des contenus sur mesure adaptés au secteur d’activité, et des modalités flexibles (cours par visioconférence, ateliers intensifs, etc.). (Mon Compte Formation) La formation linguistique professionnelle mise sur l’humain et le sur-mesure : un formateur accompagne un groupe de salariés, permettant interactions et adaptation culturelle.
L’investissement par apprenant est plus élevé, mais justifié par le retour attendu en performance professionnelle. L’approche sur mesure permet de travailler les besoins spécifiques (préparer une présentation commerciale en anglais, acquérir le vocabulaire technique d’un métier, etc.) là où les offres B2C standard ne le peuvent pas. Surtout, la présence d’un formateur change tout : « avec un formateur c’est comme ça que se transmet plus facilement la culture et les notions de langue » rappelle une responsable de centre de formation. L’interaction humaine apporte motivation, correction fine des erreurs, feedback instantané et contextualisation culturelle – des éléments indispensables pour réellement progresser en milieu professionnel.
En somme, le segment B2B du marché mise sur la qualité et l’individualisation, là où le B2C misait sur la quantité et l’autoformation ludique. Les deux segments tendent d’ailleurs à se différencier de plus en plus nettement. D’un côté, on voit une consolidation autour de quelques grandes plateformes B2C grand public (Babbel, Duolingo…) qui absorbent l’essentiel du marché des particuliers. De l’autre, les spécialistes B2B montent en gamme en offrant une expérience apprenant premium (blend de digital et de coaching humain, reporting détaillé pour l’entreprise, certifications reconnues en sortie).

Cependant, pour rappel, Babbel n’est toujours pas rentable malgré sa position de leader sur le marché B2C. En 2022, l’entreprise a enregistré un chiffre d’affaires de 200 M€, en forte croissance (+160 % depuis 2017), notamment grâce à son expansion sur le marché nord-américain, où les États-Unis représentent désormais 42 % de son chiffre d’affaires B2C. Toutefois, cette expansion rapide s’est accompagnée d’un déficit de -36,9 M€ en 2022, contraignant Babbel à repousser son introduction en bourse, dont on n’a plus entendu parler depuis.
Ce cas illustre les limites du modèle B2C basé sur l’abonnement et la gamification, qui peine encore à atteindre la rentabilité, à l’inverse du B2B où les formations sont de plus grande qualité et où les marges sont plus élevées grâce à des contrats d’entreprise à forte valeur ajoutée.
Pour le futur, les clés du succès sur le marché de la formation linguistique semblent résider dans l’individualisation poussée des parcours et la haute expertise pédagogique. Les apprenants – qu’ils soient des particuliers motivés ou des salariés d’entreprise – sont devenus plus exigeants et avertis : ils attendent des résultats tangibles. Les organismes capables de combiner innovation technologique et accompagnement humain sur mesure seront les mieux placés pour répondre à ces attentes et durablement tirer parti d’un marché en pleine mutation.
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