Zoom sur les préconisations du CESE sur la prévention et la réduction du chômage de longue durée.
Saisi par Gérard Larcher, Président du Sénat, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a présenté son avis consacré à « La prévention et la réduction du chômage de longue durée dans une perspective d’action territoriale ». Cet avis, rapporté par Luc Bérille (Groupe UNSA) et Jean-Michel Pottier (Groupe des Entreprises), au nom de la Section du travail et de l’emploi, présidée par Alain Cordesse (Groupe des Entreprises), a été présenté lors de l’assemblée plénière du Conseil économique, social et environnemental du 24 juin 2020.
L’avis a été adopté en plénière avec 174 voix pour, 19 voix contre et 2 abstentions.
Dans quel contexte s’inscrit l’avis du CESE sur la prévention du chômage territoriale dans une perspective d’action territoriale ?
Le chômage de longue durée (CLD) est un phénomène installé depuis longtemps dans la réalité économique et sociale française. En 2019 et début 2020, l’amélioration du marché de l’emploi liée au regain de l’activité économique, a commencé à se traduire par une baisse sensible du nombre de demandeurs d’emploi. Mais les sorties de chômage ou de l’activité réduite, ont surtout bénéficié aux demandeurs d’emploi de moins d’un an. Ainsi, la part des demandeurs d’emploi de longue durée a encore augmenté en 2019, passant de 38 % du total des demandeurs d’emplois en 2011, à 45,6 % en 2014 et à 47,5 % fin 2019.
A noter : selon l’INSEE, les moins diplômés et les moins qualifiés sont aussi les plus concernés tant par le chômage que par le chômage de longue durée. Un faible niveau de formation constitue un handicap durable sur le marché du travail, que l’expérience professionnelle atténue trop faiblement.
Les débuts de vie professionnelle sont également marqués par des phases de chômage avant d’occuper un emploi. 37 % de la génération 2013 y ont ainsi été confrontés. Mais parmi ceux-ci, se distinguent les jeunes non diplômés dont 53 % ont connu un chômage de longue durée de plus d’un an avant d’accéder à un emploi. En 2018, 53 % des jeunes de 16 à 25 ans étaient des chômeurs au sens du BIT (ni en études, ni en emploi, ni en formation).
Par ailleurs, après quelques semaines de crise sanitaire, la légère amélioration du marché du travail des premiers mois de 2020 est sérieusement remise en cause. Les répercussions économiques et sociales s’annoncent considérables. S’il est impossible, à ce stade, de les anticiper totalement malgré les mesures sans précédent de préservation de l’emploi et les plans de relance annoncés ou en cours d’élaboration, la dégradation de l’emploi risque d’être massive.
“Si l’arrivée importante de nouveaux demandeurs d’emploi fera baisser mathématiquement à court terme la proportion des chômeurs de longue durée, non seulement elle n’en réduira pas le nombre mais elle risque d’agir comme un facteur d’allongement de leur exclusion du marché de l’emploi avec les dégâts sociaux et humains afférents, pour les personnes comme pour l’ensemble de la société et du pays. Prévenir le chômage de longue durée et y remédier, au plus près des territoires, nécessite davantage encore de fixer un cap et de le tenir avec volontarisme.”
Quelques repères sur le chômage de longue durée
- Une forte hétérogénéité territoriale du chômage de longue durée mais une réalité omniprésente.
- Le faible niveau d’éducation et de qualification, l’âge et la santé, principaux facteurs de fragilisation des personnes sur le marché du travail.
- La durée de la privation d’emploi accroît la difficulté de retour à l’emploi.
- Une coordination insuffisante des acteurs de l’emploi, de l’insertion et du développement économique.
- Une prévention des affections invalidantes toujours insuffisante.
- Une faible capacité à maintenir en emploi les personnes malades ou invalides.
- Un appareil de formation mal connu par beaucoup de demandeurs d’emploi, qui doit poursuivre son adaptation aux besoins des chômeurs de longue durée et s’inscrire plus fortement dans la réalité des territoires et des branches professionnelles.
- Des moyens de mutualisation qui se sont réduits pour la formation des salariés en emploi.
- Des dispositifs encore à développer pour soutenir l’activité dans les territoires en situation de déprise économique et dans les quartiers des politiques de la ville.
Préconisations opérationnelles et pratiques du CESE
Mettre en œuvre une stratégie de production de biens et de services, face à la dégradation brutale de l’activité et au risque d’une augmentation massive du chômage
Cette stratégie, potentiellement créatrice de nombreux emplois, doit comporter un volet investissement dans les compétences nécessaires aux transitions en cours et aux besoins de cohésion sociale et territoriale. Le CESE recommande que la priorité donnée au développement d’activités essentielles et à de nouvelles façons de produire, intègre au premier chef, les objectifs de la transition écologique ainsi que l’urgence de la lutte contre le changement climatique et pour la biodiversité. Le CESE rappelle que dans un avis antérieur sur l’emploi dans la transition écologique, il avait appelé de ses vœux le volontarisme et la stabilité d’une politique dans ce domaine, afin notamment d’en révéler tout le potentiel de création d’activités et d’emplois.
Assurer un pilotage de niveau régional, s’appuyant sur la contractualisation entre les acteurs de l’emploi, de l’insertion et du monde économique
Le CESE recommande de prévoir une contractualisation de niveau régional au sein d’un consortium qui réunirait la région, les départements, les OPCO en territoires, les acteurs de l’IAE, les composantes du service public de l’emploi et du futur service public de l’insertion, pour assurer une répartition efficace des rôles en matière d’accompagnement et de suivi des personnes vulnérables sur le marché du travail.
Le CESE préconise que soient mobilisées, dans le cadre de la contractualisation précitée, les compétences des différents acteurs tant régionaux et départementaux que des composantes du service public de l’emploi, pour construire les parcours d’insertion sociale et professionnelle des publics les plus éloignés de l’emploi afin de prévoir :
- le repérage des besoins de préformation ;
- le rôle et la place de chaque acteur aux différentes étapes ;
- le suivi des parcours des stagiaires de la formation professionnelle, sans rupture de rémunération ou d’accès aux droits
Renforcer le rôle des régions en matière de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences dans les territoires (GPECT)
Le CESE préconise que la compétence économique des régions soit renforcée par l’attribution d’un rôle d’anticipation des mutations économiques et de GPEC territoriale dans les bassins d’emploi de leur ressort.
Elles devraient être chargées :
- d’accompagner, en partenariat avec l’État, les personnes dont l’emploi est menacé par des fermetures de site dans leur effort de reconversion vers les activités identifiées parmi les besoins d’emplois ou encouragées au titre de la revitalisation des bassins d’emploi. Il s’agit en particulier, d’intégrer au contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelle (CRDFOP), les actions de formation à organiser pour diriger les personnes en besoin de reconversion vers les activités encouragées et financées au titre la revitalisation.
- d’assurer l’articulation, à l’échelle des territoires, de la mission d’observation des Carif-Oref avec celle des observatoires prospectifs des métiers et des qualifications, en y intégrant les éléments d’observation et d’analyse recueillis par le service public de l’emploi (SPE).
Par ailleurs, le CESE recommande que la contractualisation entre l’Etat et les Régions, permette à ces dernières d’assurer une couverture territoriale suffisante en structures d’accueil du public, en lien avec les collectivités territoriales de leur ressort, les Plans locaux pour l’insertion et l’emploi (PLIE), les Maisons de l’emploi et les structures de proximité du service public de l’emploi.
Mettre en place un suivi de l’accès des salariés à la formation professionnelle sur la base d’indicateurs précis
Dans le contexte de la mise en œuvre des dispositions de la loi du 5 septembre 2018, le CESE considère que pour atteindre l’objectif de sécurisation des emplois, de développement des compétences et de prévention du chômage de longue durée, France compétences doit assurer un suivi précis de l’accès des salariés à la formation professionnelle, avec une attention particulière portée aux formations de reconversion.
L’accès à la formation est déterminant pour le maintien et le développement de l’employabilité ; il constitue à ce titre, un élément fondamental de prévention du chômage de longue durée. Le CESE recommande d’inscrire dans le contrat d’objectif et de gestion de France compétences :
- Un suivi précis de l’accès à la formation pour les salariés, avec une attention particulière portée aux entreprises dont l’effectif est compris entre 50 et 299 salariés qui ne bénéficient plus pleinement de la mutualisation des fonds de la formation professionnelle ;
- Une pluralité d’indicateurs communs tels que la répartition des bénéficiaires par taille d’entreprise d’origine, la répartition hommes/femmes, cadre/non cadre, le niveau de qualification, le niveau des formations suivies et leurs objectifs certifiants, les dispositifs mobilisés, les perspectives professionnelles associées à la formation (maintien dans l’emploi, promotion, reconversion) ;
- L’élaboration d’un indicateur permettant par étude de cohorte, de mesurer les effets postérieurs de la formation sur le parcours des salariés. Le contrat d’objectif et de gestion de France compétences s’appuiera sur les instruments d’observation et de prospective territoriale déployés par les régions, les branches et les associations paritaires Transition pro. A ce titre, le CESE considère que France compétences doit soutenir financièrement le développement de ces réseaux d’observation territoriaux.
Inscrire l’effort d’investissement en faveur de la formation des personnes éloignées de l’emploi dans la durée
Le plan d’investissement dans les compétences (PIC), amorcé en 2018 et doté de 15 milliards d’euros jusqu’à la fin du quinquennat, représente un effort important pour remédier à l’accès très insuffisant à la formation professionnelle, des personnes éloignées de l’emploi. Le CESE constate que le PIC est en train de démontrer son efficacité à plus d’un titre. Il s’est traduit par une augmentation significative du nombre d’entrées en formation pour des publics en grande difficulté d’emploi en 2018 et 2019. Dans la majorité des régions, il peut permettre par la voie contractuelle, la mise en cohérence de la politique nationale et des politiques territoriales dans les domaines de la formation et de l’insertion professionnelle des demandeurs d’emploi de longue durée.
Enfin, il tend à favoriser, par le jeu des appels à projet, l’adaptation des méthodes et des contenus de la formation aux besoins des personnes, dans une logique de construction de parcours d’insertion vers et dans l’emploi.
Le CESE recommande aux pouvoirs publics d’inscrire cet effort d’investissement dans la durée, au-delà du terme envisagé de 2022, en incluant dans ses publics cibles, les salariés de faible qualification dont l’emploi est menacé. Il préconise de renforcer la concertation institutionnelle autour du plan d’investissement dans les compétences (PIC) en y associant les partenaires sociaux représentatifs des salariés et des employeurs.
Renforcer l’accompagnement des personnes vers l’emploi et les capacités d’inclusion des employeurs
Le CESE recommande que les expérimentations actuellement conduites en vue de la mise en place d’un service public de l’insertion, soient appréciées à l’aune de la capacité respective des réseaux de l’insertion et du service public de l’emploi à partager leurs informations sur les parcours individuels, dans le respect des compétences d’intervention de chacun d’entre eux. Le partage des rôles entre les différentes composantes des services publics de l’insertion et de l’emploi, doit relever d’une contractualisation mise en place à l’échelle des régions.
Le CESE recommande de sécuriser le financement des dispositifs de Préparation opérationnelle à l’emploi (POE) dans le plan d’investissement dans les compétences (PIC).
Le CESE préconise d’inscrire, par voie de contractualisation avec les partenaires du service public de l’emploi et de l’insertion, une mission mutualisée d’aide au recrutement pour les TPE-PME, assortie d’un accompagnement postérieur à l’embauche. Il recommande également d’organiser des campus de l’inclusion au niveau régional afin de réunir les acteurs du monde économique sur le thème de l’aide au recrutement des personnes invisibles sur le marché du travail.
Faciliter l’accès à l’emploi et à la formation tout au long de la vie
Lever les freins à l’entrée en formation et en emploi :
Le CESE préconise de rechercher à l’échelle nationale, une meilleure articulation entre les dispositifs d’aide sociale dont peuvent bénéficier les chômeurs de longue durée et le régime d’indemnisation des stagiaires de la formation professionnelle.
Dans l’immédiat, il recommande à l’État, sur la base des conventions financières dont il est partie prenante, d’inciter les régions, Pôle emploi et les OPCO, à vérifier que l’entrée en préformation ou en formation demeure incitative et le cas échéant, à abonder les rémunérations des stagiaires de la formation professionnelle comme à prendre en charge les coûts annexes de la formation.
Le CESE recommande également aux collectivités publiques de collaborer en vue d’assurer un traitement efficace des difficultés d’accès à la formation et à l’emploi, qui trouvent leur origine dans une insuffisance de solutions de mobilité ou, pour les femmes qui assument seules la charge de famille, dans l’absence de solutions d’accueil des jeunes enfants.
Inclure l’offre de formation dans une logique de parcours en s’appuyant sur les dispositifs innovants expérimentés :
Les obstacles que connaissent les personnes éloignées de la formation et de l’emploi ne sont pas seulement financiers : le contenu même de la formation doit répondre à des besoins spécifiques et s’adapter à la situation des individus. Pour les moins qualifiés très éloignés de l’emploi, la formation doit conserver de l’intérêt et s’intégrer dans une offre de parcours.
Le CESE recommande aux Pouvoirs publics d’assurer la montée en puissance du réseau des EPIDe et des E2C et plus généralement, d’accompagner la transformation des organismes spécialisés dans la formation des demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés. Il préconise un plan d’investissement favorisant l’innovation pédagogique et la capacité à mettre à disposition des publics, des outils numériques.
Dans les Outre-mer, le CESE recommande une montée en puissance du Service militaire adapté (SMA) en augmentant ses moyens et ses places d’accueil.
Pour les publics plus âgés, le diagnostic des besoins individuels constitue un préalable à l’orientation vers un métier et l’acquisition des qualifications afférentes. Le passage par une préformation est souvent une étape nécessaire avant d’accéder à une formation plus qualifiante, y compris pour les publics jeunes à travers les prépa apprentissages. L’orientation pratique et professionnelle de ces préformations est bien sûr essentielle.
Ainsi, le CESE recommande d’encourager le développement des actions de formation en situation de travail (AFEST), institutionnalisées par le code du travail.
Il préconise de répertorier et d’évaluer l’ensemble des pratiques relevant de la formation en situation de travail pour en favoriser l’essaimage, tout en s’assurant de la traçabilité et de la qualité des actions de formation conduites à ce titre ainsi que de leur financement.
Assurer le maintien en emploi
Le CESE soutient le recours à l’activité partielle et recommande le maintien de l’élargissement de son champ d’application ainsi que la prolongation de son dispositif exceptionnel face à la crise. Il préconise que les administrations compétentes de l’État soient pourvues des moyens nécessaires au contrôle de la mise en œuvre de ce dispositif, tout particulièrement dans le contexte de la pandémie du Covid-19.
À terme, il considère indispensable de mieux définir les rôles respectifs des Direccte et des collectivités locales pour maintenir l’emploi dans les territoires, en lien avec l’ensemble des acteurs économiques et tout particulièrement avec les TPE-PME, dans la mise en place des dispositifs de prévention des crises conjoncturelles, ainsi que dans l’anticipation des mutations économiques. Dans la perspective de la relance de l’activité, le levier de la clause sociale devra être pleinement utilisé par les collectivités et les entreprises, pour favoriser l’insertion professionnelle des publics éloignés de l’emploi.
Le CESE recommande de renforcer l’approche coordonnée de la prévention des risques professionnels et du vieillissement au travail entre l’ensemble des acteurs, les médecins conseils de l’assurance maladie, les ingénieurs de prévention des CARSAT, les médecins du travail et la médecine de ville.
Les branches professionnelles et les entreprises doivent se saisir des sujets, telles les conditions de travail et la qualité de vie au travail, en intégrant l’expérience et les compétences des seniors pour les améliorer, tout comme la question des freins à leur embauche.
Les branches professionnelles et les entreprises concernées par les facteurs de risques retenus dans le cadre du compte professionnel de prévention (C2P), doivent agir sur la pénibilité notamment par des accords d’aménagement de l’organisation du travail afin d’anticiper les difficultés en particulier de maintien dans l’emploi. Le CESE préconise que les branches professionnelles, notamment à partir des observatoires des métiers et des qualifications, identifient les emplois de reconversion envisageables et les formations correspondantes le cas échéant nécessaires, par bassin d’emplois et secteur d’activité.
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