Sandrine Beaulieu est une psychologue du travail qui a exercé dans le domaine des ressources humaines pour des groupes internationaux. Face à la difficulté à lever les freins à la mobilité interne qui entravaient les carrières, elle créé fin 2019 le centre de bilan de compétences “Acérola Carrière” avec pour objectif de permettre à chacun d’accéder à une vie professionnelle épanouie. Il y a quelques jours, elle a lancé une pétition contre le reste à charge obligatoire du CPF et a accepté de répondre à nos questions pendant ses/nos vacances.
Quel est l’objectif de votre pétition et pourquoi est-elle importante ?
L’objectif de ma pétition est d’alerter l’opinion public sur la perte d’un droit d’accès à la formation. La pérennité du CPF est en effet mise à mal avec le vote de l’amendement 705 de la loi de finances 2023. Le budget dont chaque actif dispose sur son compte CPF ne pourra plus être utilisé sans mettre la main à la poche. Sont exclus de la mesure, les demandeurs d’emploi. En clair, pour financer une formation avec son CPF il sera désormais obligatoire de payer une part qui pourra être un montant fixe ou un pourcentage du coût de la formation. Cette mesure fera l’objet de décrets à venir qui détermineront les modalités pratiques de sa mise en œuvre. C’est pourquoi il est urgent d’agir aujourd’hui afin qu’aucun décret ne soit mis au vote par le gouvernement, tel que le propose Muriel Pénicaud, ancienne Ministre du travail, à l’origine de la création du CPF.
En 2021, le CPF a permis à plus de 2 millions de personnes de se former, de passer le permis de conduire ou d’être accompagnées dans le cadre d’une reconversion, d’une évolution professionnelle, d’une création d’entreprise ou d’une VAE. Son succès n’a cessé de croître depuis que l’application Mon compte formation a vu le jour et ce, au rythme des besoins d’adaptation des compétences aux bouleversements économiques des dernières années. Le CPF est novateur car il permet aux non-cadres de se former alors que les cadres bénéficiaient jusqu’alors de la majorité des budgets de formation. Il est révolutionnaire dans son usage car il laisse une complète autonomie à ses utilisateurs qui ainsi peuvent gérer leur parcours professionnel sans droit de regard de leur employeur et donc facilement changer d’entreprise, de secteur ou de métier. Ceci est un vecteur de fluidification du marché de l’emploi et la baisse du chômage n’y est peut-être pas étrangère.
Quels sont les effets concrets redoutés si le reste à charge du CPF est maintenu ou augmenté ?
L’obligation de paiement d’un reste à charge pénalisera les plus bas revenus : smicards, personnes en arrêt maladie ou en congés maternité ou parental, employés à temps partiel. Ces actifs n’auront plus accès à l’accompagnement professionnel et à la formation pourtant indispensables à la promotion sociale. Seul recours, mentionné dans l’amendement 705 : faire appel au financement complémentaire de son employeur. Mais quelle entreprise sera intéressée par les projets de formation ne lui apportant pas de bénéfices directs ? Les formations déconnectées de son activité ? Exit les bilans de compétences, permis de conduire et autres formations à visée de mobilité externe.
Nous assisterons à une baisse substantielle du nombre de projets de formation financés par le CPF, mettant ainsi à mal un marché de la formation professionnelle qui peine à s’adapter à des politiques gouvernementales variantes. Seront particulièrement touchées, les parcours qui accueillent des publics en reconversion, le bilan de compétences en tête. Plus le montant du reste à charge sera important et plus il y aura de la « casse » dans le secteur de la formation professionnelle. Un grand nombre d’organismes vivent du financement CPF !
Quels sont les arguments des partisans du reste à charge du CPF et comment y répondez-vous ?
Le gouvernement avance l’argument de la lutte anti-fraude pour justifier de la mise en place du reste à charge. De mon point de vue, il s’agit d’un argument fallacieux qui cache des soucis budgétaires. D’une part, l’absence de contrôle des prestataires inscrits sur Mon compte formation et l’incompétence dans le traitement de la fraude ont creusé un budget déjà dépassé par le succès du CPF. D’autre part, le gouvernement privilégie l’emploi des jeunes, ce qui est louable, au travers du financement de l’apprentissage. Mais le CPF a toujours son rôle à jouer pour corriger les erreurs d’orientation, se lancer dans l’entreprenariat, acquérir un diplôme par la VAE, apprendre des langues étrangères ou des logiciels informatiques, acquérir de nouvelles compétences ou les parfaire, parce que la formation tout au long de la vie est essentielle à l’agilité d’un pays.
Enfin nombre d’entreprises se réjouissent de reprendre la main sur les projets de formation de leurs collaborateurs, dans un esprit que je juge « paternaliste ». Financer le CPF et qu’il soit utilisé librement, la pilule avait du mal à passer pour certains employeurs. Cet amendement 705 est un retour vers les bonnes vieilles pratiques : les RH pourront décider quels parts à charge de quels projets ils financeront. Il y a fort à parier qu’il s’agira de formations permettant une meilleure productivité.
Quels autres moyens utilisez-vous pour faire entendre votre voix sur cette question et quels résultats avez-vous obtenus jusqu’à présent ?
La pétition parue à la veille des fêtes de fin d’année a déjà recueilli plus de 1000 signatures. Elle est essentiellement diffusée via les réseaux sociaux. Relayée par des organismes de formation ou des indépendants, tous les actifs sont appelés à la signer pour défendre leur budget de formation. Au-delà de l’aspect financier, il s’agit de préserver son autonomie dans la gestion de sa carrière, refuser que seules les entreprises puissent décider qui doit se former et sur quels sujets.
J’ai pris contact avec des élus et des syndicats de salariés, prochainement avec des fédérations professionnelles de la formation.
La création d’un collectif contre la part à charge obligatoire du CPF devrait voir le jour.
Quel est votre appel à l’action pour inciter les personnes à signer votre pétition et à soutenir votre cause ?
Défendez votre pouvoir d’achat de formation, votre avenir professionnel en dépend, en signant la pétition NON A LA PART CHARGE OBLIGATOIRE AU FINANCEMENT CPF DE FORMATIONS.
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