Michel Beaugas, Secrétaire confédéral, en charge du secteur de l’emploi et des retraites à Force Ouvrière a répondu à nos questions sur le Plan d’adaptation de la politique de compétences à venir.
Quel bilan tirez-vous de la gestion du télétravail et du chômage partiel par les entreprises durant la crise ?
Avec la crise sanitaire, le télétravail est devenu la norme pour plus de cinq millions de salariés qui ont ainsi pu continuer leur activité en toute sécurité. Ce qui a également mis en exergue les inégalités entre les travailleurs pour pouvoir en bénéficier.
Le confinement a imposé une mise en place dans l’urgence d’un télétravail permanent pendant des semaines souvent sans cadre formel et dans des conditions très variables selon les entreprises. Si on retrouve les difficultés déjà connues avec le télétravail classique (augmentation du temps et de la charge de travail, hyper-connexion, porosité des sphères privée et professionnelle), celles-ci ont été parfois aggravées par la situation de télétravail total 5 jours/5.
Pour FO, il faut lutter contre le télétravail non-règlementé et privilégier un télétravail cadré, négocié et contractualisé. FO réclame, depuis plusieurs années, une nouvelle négociation interprofessionnelle sur ce mode d’organisation du travail. Au vu de la situation actuelle, il est indispensable de se saisir de ce sujet tant concernant le télétravail ordinaire que celui mis en place dans le cadre de l’urgence sanitaire pour que tous les salariés concernés puissent bénéficier d’un cadre protecteur en toutes circonstances. La confédération a fait une demande en ce sens aux organisations patronales.
Il est reconnu depuis plusieurs années que le télétravail augmente la productivité des salariés en partie du fait des dépassements d’horaires et de l’absence de prise de pause. Ce qui pose la question de l’encadrement du droit à la déconnexion.
Cependant, le télétravail durant le confinement ne semble pas avoir eu systématiquement ces mêmes effets. Cela pourrait s’expliquer notamment par un rallongement des temps de traitement nécessaire pour mener à bien certaines tâches hors du lieu de travail et donc avec des modes opératoires dégradés, mais aussi par la multiplication des contacts téléphoniques et des réunions en visio ou audio.
Sur le dispositif d’activité partielle en lui-même, FO ne peut que l’approuver puisqu’il a aidé plus d’une dizaine de millions de salariés en chômage technique. De plus, l’augmentation conséquente de la part de prise en charge par l’Etat pendant les 10 premières semaines de la crise sanitaire ne peut être que saluée en ce qu’elle a probablement sauvé énormément d’emploi.
Toutefois, nous déplorons plusieurs choses :
- Que l’augmentation considérable de la contribution de l’Unédic dans la prise en charge de l’activité partielle ait été faite sans aucune concertation et information préalable des partenaires sociaux, l’exécutif les ayant laissés devant le fait accompli.
- Que dans le processus réglementaire de l’activité partielle, les partenaires sociaux n’aient absolument pas été consultés, alors que rappelons le, c’est un dispositif qu’ils ont créé. De fait, cette absence de consultation s’est ressentie dans certains décrets, notamment sur la rémunération des apprentis (modifiée) ou encore par le nombre record de décrets sur le sujet à quelques jours d’intervalle, alors qu’un ou deux décrets bien structurés auraient suffi et éviter des « remplace et annule » réguliers et aider à la compréhension.
- Que les contrôles de la véracité de l’activité partielle n’aient pas été effectués plus tôt, en effet, nous avons eu de nombreuses remontées de salariés en activité partielle qui continuaient à travailler depuis leur domicile.
Enfin, nous regrettons, et c’est un point important pour nous, que malgré la forte prise en charge par l’Etat de l’indemnité d’activité partielle (100 %) les employeurs n’aient pas versé le complément afin de préserver intégralement la rémunération de leurs salariés.
La baisse de la prise en charge de l’Etat et donc son désengagement, nous préoccupe car en effet, le financement intégral de l’activité partielle par l’Etat a permis de limiter la casse en termes de licenciements et de maintien de rémunération pour les salariés. FO redoute que cette baisse de participation à 85 % ait des conséquences directes de destruction des emplois et que désormais les employeurs rechignent à donner le complément de salaire qui est désormais plus important pour eux.
Que pensez-vous du dispositif FNE formation mis en place durant la crise et perdurant pour certains secteurs d’activités aujourd’hui ?
La confédération Force Ouvrière regrette que ce renforcement du dispositif soit limité aux salariés en activité partielle et dans le temps (fin décembre 2020), car il permet de faciliter la continuité de l’activité des salariés face aux transformations consécutives, aux mutations économiques et technologiques, de favoriser leur adaptabilité et employabilité si demain ils devaient être licenciés de leur entreprise.
Nous constatons un faible taux de recours au FNE, pourtant financé intégralement par l’Etat, qui peut s’expliquer par deux facteurs : former ses salariés n’est pas la priorité pour une entreprise touchée de plein fouet par la crise et il est très peu connu.
Par ailleurs, de manière plus globale FO redoute qu’à terme il y ait un problème de financement du FNE et de la formation, car l’indemnité d’activité partielle versée par l’employeur à ses salariés n’est assujettie à aucune cotisation salariale ou patronale. De plus, ici aussi nous redoutons que l’Etat baisse d’ici quelques temps sa participation au financement du FNE (80 % au lieu de 100 %).
Un plan d’adaptation de la politique de compétences et de la formation professionnelle sera discuté dans les prochaines semaines. Quelles sont vos attentes et propositions pour ce plan ?
Comme Force Ouvrière l’a déjà suggéré dans d’autres lieux et d’autres circonstances, la crise sanitaire est intervenue dans une période de début d’année où les plans de développement des compétences n’ont pas encore été réalisés, où les salariés et les demandeurs d’emploi n’ont pas pu accéder à des formations professionnelles.
Il serait plus prudent de relancer ces plans et satisfaire les besoins des personnes pour accéder à des actions de formation et éviter de verser dans la précipitation.
Nous appelons à la réalisation d’un état des lieux nouvelles priorités en lien avec la crise sanitaire.
Il faut bien sûr revoir et augmenter les moyens financiers pour favoriser les qualifications et développer les compétences des personnes pour faire face à ce défi pour relancer et garantir ainsi la croissance économique.
Souhaitez-vous une réorientation du plan d’investissement dans les compétences ? Si oui, qu’en attendez-vous ?
Nous considérons qu’il y a un avant et un après Covid19 qui induit une adaptation et un renforcement des moyens alloués à ce dispositif.
L’avant COVID19 a vu l’émergence d’un PIC à vocation territoriale pour favoriser en priorité le retour et l’insertion dans l’emploi : Former notamment 1 million de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et un million de jeunes éloignés du marché du travail, répondre aux besoins des métiers en tension dans une économie en croissance et contribuer à la transformation des compétences, notamment liée à la transition écologique et à la transition numérique.
L’après COVID19 a quelque peu aggravé la situation de beaucoup de salariés et va augmenter ainsi le nombre de demandeurs d’emploi ; il faut s’attendre à l’augmentation des personnes éligibles au dispositif PIC car ce sont essentiellement les personnes peu ou pas qualifiées qui risquent de perdre leurs emplois.
Il a aussi modifié la cartographie des besoins des métiers en tension et des secteurs à forte intensité de recrutement prioritaire en remaniant la vocation territoriale du PIC à celle de Nationale.
Ainsi nous sommes favorables à l’augmentation des moyens financiers dédiés pour ce dispositif en lien avec l’augmentation des besoins, à la redéfinition des priorités en lien avec les publics prioritaires avec les secteurs vitaux identifiés à la suite de la crise sanitaire et à l’intégration et à la systématisation de l’outil CléA notamment numérique dans le parcours de formation de demandeurs d’emplois.
Avec la mise en place du télétravail, la transition numérique a été au cœur des pratiques numériques des entreprises. Comment accompagner les salariés dans cette montée en compétences ?
Force ouvrière n’a pas attendu la crise sanitaire, le recours en urgence au télétravail, pour soulever la question de la transition numérique et la montée en compétences des salariés.
La crise sanitaire a eu le mérite de mettre en exergue certaines activités qui s’avèrent vitales, on peut citer la santé, la propreté et l’hygiène et pour lesquelles le développement et l’accompagnement des salariés dans le maintien et l’acquisition de nouvelles compétences.
Aujourd’hui, la transition numérique désigne le processus qui consiste pour une organisation à intégrer pleinement les technologies digitales dans l’ensemble de ses activités.
Elle constitue donc un des moyens pédagogiques qui a tendance à se généraliser et nécessite par conséquent la formation continue et permanente des salariés pour leur permettre de développer des compétences et maintenir ainsi leur capacité à s’adapter et à occuper un emploi.
Dans ces conditions, nous considérons que ces formations deviennent obligatoires et donc le financement incombe exclusivement à l’employeur.
Il y a deux pistes à explorer, l’intégration et l’intensification voire la généralisation de cette pédagogie très tôt dans le cursus scolaire et créer une contribution spécifique à la transformation et la transition numérique.
Muriel Pénicaud a déclaré “ Il faut permettre à chacun d’utiliser cette période difficile comme une occasion de rebond, [et] développer les compétences nécessaires demain en matière numérique, en matière de transition écologique, en matière d’aide aux personnes”. Quelles mesures pourraient contribuer au retour à l’emploi des demandeurs d’emploi, selon vous ?
Parmi les dispositifs qui participent à la formation des demandeurs d’emploi on peut notamment citer le CSP ou le CPF.
Pour nous, ces dispositifs doivent concourir pleinement et contribuer au retour à l’emploi des demandeurs d’emploi, ils doivent s’inscrire dans un véritable parcours professionnel en lien avec les compétences des personnes et les besoins réels des entreprises.
Ce parcours professionnel (recherche d’emploi et formation professionnelle), doit s’appuyer :
- Sur les outils d’accompagnement et d’orientation tel que le Conseil en Evolution Professionnelle (CEP), le Bilan de compétences, notamment,
- Sur une meilleure cohésion des acteurs en territoires avec une volonté de mutualisation et de partage des moyens notamment financiers.
- Valoriser et développer les savoirs et les connaissances de base notamment le dispositif CléA Notamment numérique pour faciliter et favoriser le départ en formation des personnes en grandes difficultés
- Développer et rendre accessible les travaux des Observatoires prospectifs des métiers et des qualifications (OPMQ) pour permettre aux personnes de faire le bon choix.
- Identifier et prendre en considération les priorités avérées de certaines activités en manque de personnel et de besoins humains, une formation en adéquation et leur insertion professionnelle.
Quelle place pour le CPF dans la transformation attendue des compétences et dans cette période de relance économique ?
Force ouvrière a été force de proposition et a largement contribué à la création du CPF ainsi que de son prédécesseur le DIF.
Il s’agissait de doter les personnes notamment les salariés d’un crédit d’heures pour une formation, aujourd’hui un montant financier, pour leur permettre d’accéder à des formations pour le développement de leurs qualifications et de leurs compétences.
A ce jour, le CPF a plus bénéficié aux entreprises qu’aux personnes, les formations les plus demandées dans ce cadre sont les langues, l’informatique et récemment le permis de conduire.
Aujourd’hui, plus que jamais, le CPF peut s’avérer un moyen efficace dans la transformation et le développement des compétences mais il ne peut répondre à lui tout seul aux attentes des salariés et des demandeurs d’emploi car les financements ne sont pas toujours suffisants pour la prise en charge d’actions de formations longues et coûteuses.
Il serait pertinent et judicieux de limiter dans ce cas, l’éligibilité du CPF et le consacrer exclusivement aux actions de développement des qualifications et des compétences.
Etes-vous favorable à un abondement spécifique du CPF en cohérence avec le plan de relance économique ?
Nous sommes, dans cette optique, favorable à un abondement spécifique du CPF avec le plan de relance économique tout en s’assurant que le salarié ou le demandeur garde bien l’initiative de mobiliser son compte.
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