1/ Qui êtes vous et quel est votre rôle au sein de la CGPME (Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises) ?
Je m’appelle Jean-Michel Pottier, je suis chef d’entreprise. J’ai crée, il y a 33 ans, une entreprise qui fabrique du textile publicitaire à Valenciennes, dans le Nord de la France. Je suis également militant de la CGPME depuis 1983. J’en ai occupé diverses fonctions, au niveau régional et national, j’en ai notamment été le président régional pendant plusieurs années et suis actuellement vice-président national, en charge de la formation.
2/ Que pensez-vous de la réforme de la formation professionnelle ? Quel était le point de vue de la CGPME ?
Pour comprendre ce qu’il s’est passé, il faut faire un peu d’histoire. La formation professionnelle est née dans les années 70, du besoin en formation des salariés des entreprises, et notamment des PME. C’est ce que l’on appelle le plan de formation, c’est-à-dire les formations décidées par le chef d’entreprise pour accroître les compétences de ses salariés dans le cadre d’un projet de développement économique, puisque bien que les premiers bénéficiaires de la formation soient les salariés, c’est avant tout le levier économique qui est important dans la formation, il ne faut pas l’oublier.
Au départ, nous sommes partis du besoin exprimé par le chef d’entreprise, puis, au fur et à mesure des années, nous avons un petit peu repositionné le dispositif de formation grâce à la professionnalisation sur des actions décidées par la branche professionnelle, notamment au bénéfice de l’insertion des jeunes, ce qu’on appelle les contrats de professionnalisation.
Ensuite, se sont ajoutés des dispositifs individuels qui étaient à l’initiative du salarié. D’une part, le congé individuel de formation (CIF), qui permet de s’orienter très souvent sur une formation longue pour exercer un nouveau métier, et de l’autre le droit individuel à la formation (DIF), qui vient de disparaître dans cette réforme.
Nous avions donc un système de la formation professionnelle en France très complet, peut-être l’un des plus complets au monde, qui s’appuyait sur 3 piliers :
- Le plan de formation du chef d’entreprise
- La professionnalisation gérée par la branche professionnelle et les partenaires sociaux
- Les dispositifs individuels à l’initiative des salariés
Et nous avons, ici, malheureusement assisté à une réforme qui a renvoyé un peu fort le balancier, qui était parti du côté du chef d’entreprise, du côté des salariés, avec la création du compte personnel de formation (CPF), dont on nous a dit qu’il serait l’alpha et l’omega de la formation professionnelle. Nous avons pensé, un peu naïvement à mon avis, que tous les individus allaient saisir l’opportunité afin de se former tout au long de leur vie, or on s’aperçoit que ce choix est orphelin puisque nous avons oublié une chose, que la CGPME avait d’ailleurs demandé, qui est de permettre un dialogue constructif.
La CGPME souhaitait un principe de convergence qui permettait au chef d’entreprise, qui finance de toute façon la formation des salariés quelque soit le dispositif, et le salarié et qui puisse se dégager notamment sur des projets de formation ayant un sens pour l’un comme pour l’autre, car s’il n’y a pas de convergence, cela ne fonctionne pas.
Nous avons donc oublié cela, nous n’avons pas écouté et nous sommes désormais en train de mesurer, avec le patinage impressionnant du démarrage du compte personnel de formation, que cette dimension-ci est une dimension indispensable.
Deuxième sujet sur lequel la CGPME n’était pas d’accord dans la réforme de la formation, le passage d’une obligation financière des entreprises d’investir dans la formation par une contribution obligatoire à une obligation de former, avec un système de gestion administrée extrêmement contraignant dans lequel, au bout de 6 ans, nous vérifions quels salariés ont bénéficié d’une formation et ouvrons le droit à une indemnisation aux salariés qui ne l’auraient pas été pendant ces 6 années.
Or, je pense que nous ne sommes pas partis sur un dispositif intéressant. Nous sommes passés à côté de la plaque car nous avons d’un côté, mis une obligation de former, et de l’autre, supprimés les moyens financiers en formation que crée la mutualisation des contributions obligatoires.
Dans le précédent système, cette obligation de financer était mutualisée en partant du principe que toutes les entreprises n’investissent pas dans la formation au même moment, la même année pour tous leurs salariés. Il existait donc un pot commun qui permettait d’assurer une interface entre les besoins des entreprises et le niveau de contribution qu’elles pouvaient verser.
Dans ce nouveau système, nous avons supprimé cette mutualisation, erreur extrêmement grave dont nous sommes en train de mesurer les effets, voilà pourquoi nous assistons à un effondrement progressif mais annoncé de l’effort de formation professionnelle dans les entreprises françaises.
Il faut dire que nos gouvernants n’ont cessé de nous rabâcher les oreilles en disant que nous allions baisser les charges de la formation, le message d’arrêt des contributions des entreprises sur la formation professionnelle était donc très claire, ce qui n’était pas vraiment une bonne idée à mon avis.
Ces deux raisons principales ont fait que la CGPME n’a pas été signataire de l’accord international interprofessionnel du 13 décombre 2013, non pas que la CGPME était contre le CPF, elle a toujours été pour, et d’ailleurs lors de la précédente négociation qui n’avait pas été définie mais simplement instaurée, la CGPME avait signé l’accord en janvier 2013. En revanche, concernant la manière dont cela s’est mis en œuvre, la CGPME est extrêmement critique, nous sommes devant un système d’une complexité absolument épouvantable. J’ai dit et répété que c’était une usine à gaz épouvantable, et qu’à côté, le centre Beaubourg faisait figure de « carburateur de solex », si l’on peut donner des comparaisons. Cela fait sourire, mais tristement sourire puisqu’au final, ce sont les entreprises et leurs salariés qui en seront victimes, ainsi que les demandeurs d’emploi de manière encore plus grave.
3/ Ne pensez vous pas qu’il y ait eu une confusion en le congé individuel de formation (CIF) et le compte personnel de formation (CPF) du fait de toutes ces formations longues ?
La CGPME avait déjà, lors de la précédente négociation qui a donné lieu à l’accord du 6 janvier 2009, porté un projet de fusion entre le CIF et le DIF, elle était déjà précurseur et je pense désormais que l’Histoire retiendra qu’il faudra de toute façon aller progressivement vers une fusion de ces dispositifs, ce qui est fait actuellement n’ayant pas beaucoup de sens.
4/ Pensez vous que le CPF existe encore dans 6 ans ?
C’est très simple, il n’y a cas prendre en compte les programmes politiques qui sont en train de fleurir dans tous les partis, y compris le parti qui nous gouverne, je peux vous assurer qu’en 2017, nous aurons une réforme de la formation professionnelle. La CGPME, avec la commission formation éducation emploi, y travaille d’arrache pied car il faudra qu’en 2016, il soit possible de formuler des propositions concernant une réforme qui interviendra à coup sur en 2017 car malheureusement, les chances que le dispositif actuel arrive à une vitesse de croisière suffisante sont selon moi très faibles.
5/ Selon nous, il va y avoir un effondrement des organismes de formation, ce qui concerne 75 000 emplois, que pensez vous de ce constat ? Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment a-t-on pu oublier tout un secteur comme ça ?
Ce qui me sidère dans cette histoire, c’est qu’en 2013, la CGPME n’a eu de cesse d’alerter l’opinion publique et les professionnels de la formation sur les dangers de l’orientation qui était prise dans cette réforme. Elle a d’ailleurs fait des tas de propositions alternatives, en allant très loin dans la réflexion et évidemment n’a pas été écoutée.
C’est le CAC 40 et la banque assurance qui était à la manœuvre du côté du MEDEF sur cette réforme de la formation, ils voulaient se débarrasser des notions d’imputabilité et de tout le caractère obligatoire et contraignant du système de formation professionnelle. Cette obligation de financement était d’origine fiscale, tout cela il est vrai est complexe, cependant, au nom de tout cela, ils ont réussi à obtenir ce qu’ils voulaient, c’est-à-dire faire partir en éclat le dispositif sur fond de critique.
Ce qui m’a frappé, c’est la surdité d’un certain type d’entreprises et des professionnels de la formation qui n’ont pas du tout adhéré à notre discours, il y a même une organisation qui les représente qui soutenait farouchement cette réforme.
Aujourd’hui, il semblerait qu’elle ait changé d’avis mais il ne faut pas oublier que c’était le cas.
Je suis également étonné que ce réveil intervienne plus d’un an après. En janvier, je me souviens d’une grande conférence de presse de la CGPME dénonçant les effets annoncés de la réforme de la formation professionnelle et affirmant la volonté de la CGPME de mettre en place un observatoire pour vérifier ce nous disions à l’époque, ce qu’elle est en train de déployer actuellement.
Je suis donc désolé que la CGPME ait eu raison avant les autres, mais je suis encore plus désolé de la solitude dans laquelle elle s’est retrouvée à l’époque.
Désormais, les réveils sont douloureux, mais le constat existait il y a plus d’un an. Il n’est donc jamais trop tard pour bien faire mais il n’en demeure pas moins que je ne vois pas comment faire autrement que de préparer le prochain coup, chose que la CGPME est en train de faire.
6/ Selon vous, maintenant qu’il n’y a eu que 1 000 dossiers validés en 4 mois alors qu’il y en avait 50 000 par mois l’année dernière, l’Etat a-t-il pris conscience de cet effondrement ? Nous avons l’impression que le gouvernement ne comprend pas la réalité du terrain, partagez vous ce point de vue ?
Je suis interloqué que ce soit cette majorité qui ait laissé faire la disparition de la mutualisation, qui est quand même un principe de solidarité qui me paraît être une valeur essentielle, ou du moins celle qu’il fallait défendre. Je ne peu pas m’exprimer à la place du gouvernement mais je fais simplement le constat, qu’à partir du moment où l’on laisse filer la mutualisation du plan de formation au bénéfice des actions de formation pour les salariés des PME, évidemment un problème se pose.
7/ Nous pouvons nous demander si le gouvernement est fier de sa réforme, puisqu’il décale sans cesse sa campagne, et que c’est le MEDEF qui se doit de communiquer sur la réforme, ne trouvez vous pas que leur stratégie de communication soit étrange ?
Le gouvernement s’imagine sûrement qu’il s’agit d’un problème de tuyauterie et qu’une fois ce problème réglé, tout redeviendra comme avant. Je n’y crois absolument pas pour ma part, encore une fois, nous sommes dans un système d’une complexité jamais atteinte, et d’ici à ce que chaque français comprenne la façon de s’emparer du dispositif, le délai d’appropriation va être très long. Et quand je dis cela, je pense être en-dessous de la vérité, je suis plutôt dans le politiquement correct.
Je suis extrêmement désabusé sur cette question.
8/ Que peuvent faire les gens, les titulaires pour avoir leur formation ou les organismes de formation pour ne pas mourir ? Voyez-vous un conseil à leur donner ?
La CGPME n’est pas restée les deux pieds dans le même sabot. Je le rappelle encore une fois, le 6 janvier 2015, la CGPME et les 5 organisations syndicales ont signé un avènement à l’accord constitutif d’AGEFOS PME, qui est le plus gros OPCA (Organisme Paritaire Collecteur Agrée) français, instituant notamment un dispositif de contribution volontaire. L’idée est que l’on peut éviter des problèmes majeurs à un certain nombre de PME, à partir du moment où, nous sommes d’une part capables de prévoir et de gérer la dépense de formation au bénéfice de leurs salariés pour ne pas attendre le bilan à six ans et se retrouver face à un mur, et d’autre part, capables de recréer un système de mutualisation sur la base du volontariat.
Nous avons d’ailleurs été beaucoup critiqués par un certain nombre d’OPCA, ou en tout cas leurs présidents, qui sont dans un état qui confine à l’affolement général alors que la CGPME a ouvert une voie à la contribution volontaire parce que c’est à mon sens, une solution novatrice et efficace. Cette solution nécessite, de la part des OPCA, un véritable engagement ainsi qu’un accompagnement notamment dans le parcours administratif et juridique que représentent les nouvelles obligations légales sur la formation professionnelle, et peut permettre de conserver une dynamique.
Ce matin, j’étais à la réunion du plénière du COPANEF, où je représente la CGPME. Cette dernière vient de faire une nouvelle proposition qui consiste à anticiper sur les excédents de contribution au titre du compte personnel de formation, pour les réorienter vers le plan de formation des entreprises de 10 à 50 salariés, dans un système incitatif et vertueux qui procure un abonnement aux entreprises ayant investi dans la formation professionnelle au-delà de leur obligation légale. Cet abonnement est un abonnement du tiers, qui soit susceptible d’entraîner cette dynamique vertueuse que je viens de rappeler et pour lesquels nous avons largement travaillé. Jusqu’ici, je n’ai pas connu un accueil extraordinaire, la question est reportée au 7 juillet, et va être examinée.
Le MEDEF, avec la CFDT, a porté une proposition qui a été votée par le COPANEF ce matin, qui est d’orienter une partie des fonds vers la professionnalisation et notamment les périodes de professionnalisation qualifiantes ou certifiantes. C’est une réponse urgente et partielle mais elle n’est pas suffisante et n’est pas non plus de nature à engager une dynamique vertueuse.
La CGPME va donc continuer à porter sa proposition et à faire en sote qu’elle aboutisse à un système facile, lisible, et dans lequel le chef d’entreprise qui fait un effort, sait qu’il va être accompagné dans un système qui se doit de devenir un puissante levier de développement de son entreprise.
9/ Concernant les passages des tests, notamment dans les langues, pensez-vous que cela ait un sens ? Souhaitez-vous que les langues soient dans le socle commun de compétence ?
Je n’ai pas pour habitude de rentrer dans les dispositifs de formation pour une simple raison, et c’est la première valeur à laquelle est attachée la CGPME, la liberté de choix du chef d’entreprise et donc tous ces dispositifs qui viennent réduire la liberté du chef d’entreprise sont sa responsabilité et on veut que ça le reste. On a beaucoup de mal, et ce n’est pas moi qui m’exprimerait là-dessus.
En revanche, je peux vous dire qu’en ce qui concerne l’éligibilité des formations au compte personnel de formation, nous avons agi à l’envers, c’est-à-dire que nous aurions été bien inspirés de déterminer des critères d’éligibilité d’une formation, et de ne pas commencer à rentrer dans des listes avec un capharnaüm épouvantable qui n’a que très peu de sens.
Que les partenaires sociaux soient soucieux d’organiser des critères pour vérifier que l’argent est utilisé à bon escient, c’est leur rôle mais que nous ouvrions « le moteur et que nous allions régler l’écartement des soupapes », ce n’est pas notre rôle.
Ce qui est dramatique dans toutes ces questions, c’est que l’on s’aperçoit que l’on nous avait dit, dès le mois de janvier 2014, qu’il fallait des mesures de transition, et tout le monde a été sourd. Les partenaires sociaux autour de nous n’ont pas voulu en entendre parler, l’alpha et l’omega était la mise en place du compte personnel de formation, le gouvernement n’a pas voulu nous entendre sur cette question et c’est bien dommage car au fond, cette réforme est mal née et cumule l’inconvénient majeur de n’avoir été précédée d’aucune formule de transition. Je comprends donc effectivement le choc économique que reçoit la profession du côté des formateurs compte tenu de l’absence de dispositif transitoire.
Aujourd’hui, il faut essayer de voir comment, avec beaucoup de retard, on peut rattraper ces dispositifs transitoires qui ont été volontairement zappés par une majorité des partenaires sociaux et du côté du gouvernement. Il faut également réfléchir à l’avenir et, de grâce, il faut simplifier ! Il faut arrêter que des hauts fonctionnaires puissent penser qu’en tournant une molette de 3 crans d’un côté ils vont agir pour les chômeurs de plus de 55 ans et qu’en poussant un autre bouton ce sera pour les jeunes entre 16 et 18 ans. Tout ça est illusoire, ce n’est pas la réalité de l’entreprise, la réalité de l’entreprise, c’est essayer de trouver des collaborateurs, ce qui n’est pas toujours facile, qu’ils soient compétents, qu’ils puissent être formés pour progresser dans leurs compétences, et que l’on arrive à profiter des opportunités en terme d’économie et de marché. Là est la préoccupation des chefs d’entreprise de PME, et c’est ça qui m’intéresse.
10/ Dernière question, pensez-vous que des OPCA finiront par fermer si rien ne bouge ? N’était-ce pas une manière de les mettre de côté ?
Encore une fois, je suis frappé par l’espèce de surdité qui a opéré. Le MEDEF, et son président vient de le rappeler la semaine dernière devant le premier ministre, avait la ferme volonté, exprimée au plus haut, de réduire les OPCA, de réduire leurs moyens organisationnels. Cette volonté a été exprimée, reprenez le communiqué de presse du MEDEF, c’est factuel donc l’affaire est claire de ce point de vue.
Aujourd’hui, il y a deux questions, la première, celle des OPCA, comment peuvent-ils résister à la crise, ils sont évidemment obligés de se repositionner et donc de proposer des nouveaux services, enfin pour la CGPME et pour l’OPCA qu’elle gère avec les partenaires sociaux, je viens de les exprimer elle a tout fait pour les mettre en place, au grand dam d’autres OPCA. Je pense qu’il faut se repositionner sur des nouveaux services, ce qui veut dire moins d’administration et beaucoup plus de proximité de terrain, il faut donc qu’il y est une mutation des compétences des collaborateurs des OPCA pour réussir à passer le cap de la réforme, là est l’enjeu.
Dans ce système hyper complexe, si l’on ne veut pas accompagner les chefs d’entreprise de TPE et de PME sur le terrain, effectivement c’est peine perdue, c’est un impératif.
La deuxième chose que je veux vous dire, il va falloir maintenant retravailler le dispositif, il y a quelque chose que nous n’avons pas bien fait dans cette affaire, nous avons centrifugé le chef d’entreprise, notamment en PME, et l’avons mis à la périphérie du dispositif.
Le dispositif de formation professionnelle ne peut fonctionner que si nous remettons le chef d’entreprise au cœur du dispositif. Je ne crois pas à un système qui marcherait en satellite de l’entreprise, ça ne peut fonctionner que si ce dispositif remet le chef d’entreprise de PME en son cœur. Et toutes nos propositions visent toujours à faire cela et je selon moi, s’il y a une réforme qui doit être faite, elle doit prendre en compte cette dimension là, c’est vraiment la priorité numéro 1, remettre le chef d’entreprise au cœur du dispositif.
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