Quel avenir pour le CPF ? Les pistes de réflexion de la CFDT

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Le Compte personnel de formation devrait connaître de nouveaux changements en 2023. Alors quel avenir pour le CPF ? Nous avons interrogé la CFDT sur l’avenir du CPF et les enjeux de la formation professionnelle en 2023. Yvan Ricordeau, Secrétaire national de la CFDT a pris le temps de nous répondre.

2022 peut être vue comme l’année où le CPF s’est pleinement déployé… mais aussi où les arnaques au CPF ont explosé donnant une image négative du dispositif. Quel bilan tirez-vous de la formation professionnelle en 2022 ?

Avant toute chose, il est important de rappeler la genèse et les objectifs du CPF : en effet, créé par l’ANI de 2013, ce droit universel a été forgé par la volonté des partenaires sociaux de donner à chacun les moyens d’évoluer professionnellement et de sécuriser son parcours professionnel, notamment en progressant d’au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle ou en obtenant une qualification dans le cadre d’une reconversion. Le CPF est donc un véritable outil de sécurisation des parcours permettant la formation tout au long de la vie. C’est un droit individuel et individualisé.

La monétisation actée par la Loi de 2018 a modifié l’appréhension de ce droit passant d’un concept de levier en termes d’heures de formation à un objet de consommation. Certes, cela a été l’un des éléments expliquant l’essor du CPF en 2022 – et nous ne pouvons que nous féliciter de cette « démocratisation »- mais avec la monétisation voire l’ubérisation, la marchandisation de la formation allait forcément offrir un terrain de chasse aux arnaqueurs. Aussi, nous ne pouvons que saluer l’initiative de la loi contre la fraude étant un 1er levier contre les abus, ces derniers donnant une image négative de ce droit et portant un coup à sa crédibilité. L’interdépendance prévention/sanction face aux abus et aux fraudes sur le CPF est nécessaire afin de remettre ce droit individuel à la formation au cœur des volontés et besoins de l’individu. Il est urgent de rassurer le public sur le fait que mobiliser son CPF n’est pas un acte mercantile mais bien une démarche de sécurisation de son parcours professionnel et donc d’émancipation.

La piste d’une régulation avec un reste à charge pour chaque apprenant fait l’objet d’un amendement. Quel est votre point de vue sur cette régulation ?

Sur 2022, à date, près de 2 milliards de dossiers acceptés pour 2,8 Md€ engagés. L’essor du CPF est indéniable et recouvre près de 20 % du budget de France Compétences. Cependant, l’enveloppe est « ouverte » au gré des consommations. Ce fait occasionne, avec l’apprentissage, un déficit de France Compétences. Aussi il est urgent de poser collectivement des éléments de régulation afin, non pas d’endiguer l’utilisation par les bénéficiaires mais bien de replacer ce droit dans une dynamique de sécurisation des parcours professionnels et non de consommation parfois occupationnelle d’un pécule.

Aussi, la question de pistes de régulation du CPF a été l’un des points de discussion lors des travaux paritaires faisant suite à l’ACNI de 2021. Elle fait l’objet de la proposition n°11 de la contribution paritaire qui a été remise le 8 décembre aux ministres Dussopt et Grandjean.

Ainsi, en, responsabilité, les partenaires sociaux proposent d’étudier des pistes de régulation et d’encadrement du CPF dans une volonté de cibler les usages tournés vers la professionnalisation pour clarifier les formations éligibles.

Pour la CFDT, avant d’envisager la piste d’un reste à charge pour le bénéficiaire, il était primordial d’étudier d’autres éléments notamment au niveau de la refonte du registre spécifique, du contrôle qualité, de l’entièreté d’une certification par blocs de compétences.

Or, la piste du reste à charge est devenue bel et bien une réalité avec la proposition gouvernementale par voie d’amendement au PLF 2023 et la CFDT dénonce cette démarche tant sur le fond que sur la forme

Sur le fond : là où les chiffres sur la mobilisation du CPF montrent que 41 % des travailleurs mobilisant leur CPF sont peu ou pas qualifiés, 7/10 sont ouvriers ou employés, et plus de 2/3 des formations financées dans ce cadre sont certifiantes, on peut dès lors appréhender certains impacts :

  • Certains, et les plus fragilisés et précaires vont se détourner de la démarche de formation professionnelle car entre l’identification par France Connect+, véritable repoussoir administratif mais garantissant une sécurisation de son compte et cette nouvelle participation financière du salarié, l’appréhension du sujet formation, déjà complexe ne va pas être favorisée.
  • La démarche de poser les compétences comme un objet de dialogue social au sein des entreprises telle qu’exprimée dans le texte de contribution paritaire va se restreindre en une simple requête auprès de l’employeur pour la prise en charge de cette franchise.
  • Enfin, la mise en œuvre de ce reste à charge pour le salarié va en totale encontre du principe de droit personnel et individuel tel que voulu par les partenaires sociaux lors de sa création (ANI 14.12.2013)

Sur la forme : les partenaires sociaux ont présenté leurs contributions le 8 décembre dernier et ont exprimé leur ouverture d’étudier en concertation les pistes de régulations, 2 jours après était déposé un amendement prévoyant ce reste à charge. Cette temporalité questionne sur le signal envoyé avant le début des concertations sur la formation professionnelle.

Il est nécessaire de reposer les objectifs du CPF et de recentrer sa mobilisation sur les enjeux professionnels tout en sacralisant son aspect individuel.

Carole Grandjean a évoqué un “catalogue des formations qui devra être mieux ciblé vers les métiers en tension et les besoins de l’économie”. Ce fléchage des formations du CPF vous semble-t-il être une possible avancée ?

Cette proposition fait écho à la question précédente sur la régulation du CPF. Sans parler de « catalogue » pouvant faire référence aux listes précédemment en vigueur avant 2018, toutes les mesures permettant de replacer le CFP dans son objet initial d’outil de sécurisation des parcours professionnels des personnes pouvant être activé en préventif ou en curatif sont à étudier.

En ces temps de grande mouvance du marché du travail, de tensions de recrutement mais aussi de mutations écologiques et économiques, nous devons collectivement avoir une réflexion alliant à la fois des solutions à court terme mais surtout s’inscrivant dans une dynamique de prospective.

Aussi, les acteurs de l’entreprise, salariés et employeurs doivent mieux se saisir de la question du développement des compétences. Elle doit être un réel enjeu collectif au sein des entreprises permettant ainsi de répondre collectivement aux différentes échéances et besoins. Pour ce faire, seul un dialogue social au sein des entreprises permettra de poser collectivement dans le cadre des Plans de Développement des Entreprises négociés voire coconstruits, le levier de l’outil CPF dans les parcours des salariés. Responsabiliser l’ensemble des acteurs de l’entreprise aux enjeux des compétences, coconstruire les réponses aux besoins et les prioriser permettra de mieux cibler l’utilisation du CPF.


Quelles sont les pistes d’amélioration que vous proposez pour pérenniser le CPF ?

La question de la pérennisation du CPF ne se pose pas en tant que telle. On voit bien que ce dernier s’est démocratisé et s’est ancré dans les pratiques. Cependant, il est nécessaire de poser les moyens de le spécifier à des fins plus efficientes en termes de sécurisation des parcours.

Comme exposé précédemment, un des axes majeurs est bien de démocratiser au sein des entreprises la question du développement des compétences par le dialogue social. Dès lors, le CPF sera un outil collectif et individuel de l’ensemble du panel de la mallette « formation professionnelle » à activer ou non en fonction des besoins collectifs et/ou individuels.

Quel avenir pour le CPF ? Les propositions de la CFDT

D’autres pistes peuvent être étudiées :

  • La commission certification de France Compétences : elle a cette mission majeure d’inscrire et d’actualiser les certifications inscrites au RNCP et au RS et concourt à la veille sur la qualité de l’information sur les certifications.
  • La veille est aussi nécessaire pour garantir le respect et l’application du référentiel qualité Qualiopi qui, dans ses 1ers critères de référence, encadre la question de l’information au public et donc de l’utilisation du CPF.
  • La promotion d’un service de qualité et gratuit d’accompagnement aux projets formation individuels que propose le CEP. Ce service d’accompagnement personnalisé, permettant à tout un chacun de faire le point sur sa situation professionnelle, ses compétences, ses souhaits d’évolution s’effectue avec un conseiller formé et neutre. Cette neutralité est un gage de crédibilité pour la démarche de mobilisation de son CPF qui retrouve son sens initial : être un droit à la formation individuelle afin d’acquérir, de réactualiser ses compétences et non d’être un consommateur d’un pécule-formation qu’il faut à tout prix utiliser avant la fin de sa vie professionnelle.
  • Une régulation par les certificateurs eux-mêmes : certains certificateurs ont déjà pris conscience des risques sur l’image de l’ensemble du secteur de la formation par l’agissement de certains « margoulins » ; ainsi, les certificateurs d’organismes de langues Lilate se sont réunis en collectif pour promouvoir les bonnes pratiques de communication et de commercialisation.

En conclusion, l’interdépendance anticipation/ activation du CPF est nécessaire afin de remettre ce droit individuel à la formation au cœur des volontés et besoins de l’individu et des entreprises. Le CPF peut devenir l’objet négocié de dialogue social au sein des entreprises (accord d’abondement, accord plan de développement des compétences, etc.).

Plus largement, quels sont les enjeux à relever en 2023 en matière de formation des adultes ?

Au-delà des propositions paritaires, la CFDT a toujours porté plusieurs enjeux, ces derniers étant encore d’actualité :

  • Faire du développement des compétences un objet de dialogue social au sein des entreprises demandant à la fois un travail d’accompagnement des salariés mais aussi des employeurs. Le Vademecum à destination des entreprises, outil proposé dans les contributions paritaires soumises prochainement au gouvernement est une des pistes de proposition d’accompagnement.
  • Poursuivre et amplifier la promotion du CEP comme véritable levier d’accompagnement des projets professionnels ; ce soutien aux projets, formalisés ou non est un gage d’efficience, d’accès aux droits et de construction sécurisée des projets
  • Articuler les différents outils « Formation professionnelle » pour des parcours sans couture permettant aux individus de s’engager en toute sécurité dans des parcours de mobilité professionnelle
  • Faciliter les transitions professionnelles individuelles et collectives par une appréhension tant pédagogique que matérielle plus visible, celles-ci ne devant pas être un simple outil en réaction à une situation de crise.
  • Formaliser par la création d’un espace stratégique quadripartite la plus-value du paritarisme, ce lieu partagé décisionnel permettant une construction et un suivi des politiques publiques en matière de formation professionnelle plus légitime car appréhendant l’ensemble des composantes.

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