Lors du congrès « Nouvelle vie professionnelle », Muriel Pénicaud s’est exprimée longuement sur l’Appli CPF, et sur la « bataille des compétences », qui est, selon elle, « la plus essentielle, la plus structurante pour l’avenir ».
Muriel Pénicaud : « C’est le trimestre de la compétence ! »
La 6e édition du congrès « Nouvelle Vie Professionnelle », a été l’occasion de faire un point d’étape sur la mise en œuvre de l’ensemble de la réforme à quelques jours du lancement de l’appli CPF qui devrait faciliter l’accès à la formation aux Français.
Discours de Muriel Pénicaud, ministre du Travail :
« Nous vivons une double révolution : la rénovation numérique et la transition écologique »
On est en pleine actualité à J -9 du lancement de l’appli CPF, et avant d’y revenir, je voudrais remettre en contexte le sujet. Vous travaillez dans la formation, et vous avez la même observation que moi, je pense. Le sujet des compétences est devenu absolument essentiel, parce qu’aujourd’hui l’accès au capital humain est plus difficile que l’accès au capital financier. Et parce qu’on est dans un contexte qui n’est jamais arrivé dans l’Histoire de l’Humanité où tous les secteurs d’activités, toutes les tailles d’entreprises, tous les pays, tous les territoires sont concernés par une double révolution : la rénovation numérique et la transition écologique.
Cela bouleverse les métiers, l’organisation du travail, la manière de se former, et la nécessité de la formation tout au long de sa vie. Quand Jacques Delors et Jacques Chaban-Delmas en 1971 parlent de formation tout au long de la vie dans une Loi, c’est à l’époque très futuriste, et c’est une belle aspiration humaniste. Cela reste un sujet humaniste pour moi, car derrière il y a le sujet du développement humain. Mais aujourd’hui c’est une réalité, une nécessité de façon évidente.
“Il y a un mix de risques et d’opportunités“
Oui, il n’y a jamais eu une révolution d’une telle ampleur et d’une telle rapidité. (…) Il ne faut pas sous-estimé la façon dont la transition écologique va bouleverser le monde du travail. Cela bouleverse l’agriculture, la construction, les transports, l’énergie, la gestion de l’eau, la gestion des déchets… Il y a énormément de secteurs qui vont être impactés par les deux transitions, numérique et écologique. Du point de vue du salarié, il y a un mix de risques et d’opportunités très grand. On estime aujourd’hui qu’il y a 10 à 15 % des emplois vont disparaître… et 15 à 20 % vont être créés.
Il n’y a pas d’analyse qui disent qu’il y aura moins d’emplois demain. Par contre, il y aussi consensus pour dire qu’un métier sur deux sera profondément transformé dans les 10 ans qui viennent. C’est un défi absolument colossal pour les entreprises et pour le monde de la formation.
« Cette bataille de compétences, c’est ce qui va faire la différence pour chaque individu, pour chaque entreprise. »
Cette révolution de compétences, cette bataille de compétences, c’est ce qui va faire la différence pour chaque individu, pour chaque entreprise. Pour chaque individu, déjà aujourd’hui, le chômage baisse, et l’on s’en réjouit. Au niveau des cadres, on est à 2,8 % de chômage, au niveau des personnes qualifiées à 6,5 %, au niveau des personnes non qualifiées c’est 18 %, et si ce sont des jeunes, 36 %. Le premier marqueur du chômage est l’absence de compétences.
Pour les salariés en poste à tout niveau, s’il n’y a pas évolution des compétences, demain il peut y avoir un souci, et inversement ça ouvre un champ de potentiels absolument gigantesque. Mais du coup, c’est très exigeant, car notre propre rapport à la formation, et comment on va la délivrer est appeler à se transformer pour être à la hauteur quantitative et qualitative de cet enjeu.
« Donner à chaque citoyen le droit de se former »
Lorsque nous avons travaillé avec les partenaires sociaux il y a 2 ans sur la formation professionnelle et sur l’apprentissage, on avait cette conscience la. Et pour moi, l’un des défis, c’est l’accès à la formation. Encore aujourd’hui, malgré 30 ans de Loi et de dispositifs sur la formation, il n’y a qu’un salarié sur 3 de TPE qui va en formation. Ils n’ont pas moins besoin que les autres. Il n’y a qu’un ouvrier ou qu’un employé sur 3 qui va en formation. Ils n’ont pas moins besoin que les autres. Il y a 2 cadres sur 3 et 2 salariés de grande entreprise sur 3. Comment on fait pour que la formation fasse partie intégrante de la respiration du monde du travail, de la réalité du développement du travail tout au long de la vie ? C’est pour cela que nous avons décidé, d’être probablement le premier pays au monde à créer un véritable droit à la formation continue, de donner la capacité à chacun comme citoyen d’avoir un droit à se former.
Cela l’enlève en rien aucune des responsabilités et aucune nécessité des entreprises à faire évoluer les compétences de leurs salariés. Dans le cadre du PACTE productif, nous avons rajouté un volet Compétences pour essayer d’anticiper ces évolutions. On est en train de chiffrer avec la DARES, Pôle Emploi et les secteurs industriels l’impact de la révolution numérique, de la transition écologique, et l’impact des mobilisations de l’industrie. On est sur des centaines de milliers d’emploi sur lesquels on n’aura pas les compétences nécessaires dans les années qui viennent si on n’agit pas. (…)
Dans une société de mobilité où le marché du travail va évoluer tout le temps, il nous a paru important que du point de vue du citoyen, du salarié ou du demandeur d’emploi, les changements ne soient pas simplement subis, mais qu’ils puissent être l’occasion d’une démarche choisie. On ne peut pas demander la mobilité du marché du travail dans un sens ; il doit être mobile pour tout le monde. (…)
Le 21 novembre : « Toute l’offre de formation qualifiante et certifiante, dans le pays, avec les sessions en temps réel sera accessible sur l’appli CPF »
Nous sommes à J – 9 puisque le 21 novembre, 25 millions de Français pourront choisir leur formation à travers l’application que nous proposons. Je rappelle que chaque CPF sera crédité de 500 euros par an (800 euros pour les personnes en situation de handicap ou sans diplôme), avec la possibilité d’accumuler jusqu’à 5 000 euros. C’est de nouveau rechargeable dès qu’on l’utilise.
(…) C’est un sujet qui intéresse beaucoup au plan international. Quelques pays font des choses en parallèle : Singapour qui a aussi un compte personnel de formation mais sans appli CPF et avec 500 dollars versés une fois ; les Etats-Unis veulent tester un compte sous forme expérimentale, la Rhénanie du Nord aussi. Ce qui est intéressant, c’est que nous, on veut à la fois donner un droit mais aussi un accès au droit. L’accès au droit, c’est avoir la connaissance des formations. Je tiens d’ailleurs à remercier la Caisse des Dépôts pour son travail gigantesque.
Le 21 novembre, toute l’offre de formation qualifiante et certifiante, dans le pays, avec les sessions en temps réel sera accessible sur l’appli CPF. En clair, je suis salarié ou demandeur d’emploi, je vais sur l’appli CPF, j’ai envie de chercher une formation de chauffeur routier à Orléans ou d’informaticien à Annecy, instantanément j’ai l’offre comparée, et je peux choisir de m’y inscrire et de la payer. C’est une liberté qui n’existe nulle part, et qui aura beaucoup d’effets parce que la reconnaissance du terrain, l’envie de se former, la capacité à développer ses compétences, cela devient pour moi un sujet de citoyenneté. C’est bien un droit individuel garanti par la collectivité.
Quel accès à la formation ?
« On est loin du compte puisque beaucoup n’ont pas accès à la formation aujourd’hui. Le Cnam a fait un sondage en avril qui montrait que la formation avait une assez bonne image (69 % des sondés), qu’elle était jugée utile (84 %), et que 51 % seulement la trouvait accessible.
Tout cela va de pair avec la qualité des organismes de formation. La Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a prévu une obligation de certification des organismes de formation, et le 18 novembre l’obligation de certification à la marque Qualité Qualiopi.
Des modalités très claires sur les droits et obligations de chacun ont été définies, et qui obligent toutes les parties. Certains ont besoin d’un accompagnement, c’est pour cela que ça va de pair avec le Conseil en évolution professionnelle qui existait déjà pour les demandeurs d’emploi (Pôle Emploi, Apec, les missions locales…). Il sera désormais accessible en ligne ou en physique, au téléphone pour l’ensemble des 25 millions de personnes. Pour les deux derniers mois de l’année, ce sont les Fongecif qui vont pouvoir faire cet accompagnement.
« on va découvrir la carte de formation sur le territoire »
« Ce que j’attends aussi, ce sont les effets sur l’offre de formation. Le premier c’est qu’on va prendre une conscience collective de l’accès à la formation sur le territoire. Aujourd’hui, nous n’en savons rien. On va voir la cartographie de toutes les formations certifiantes et qualifiantes… Si certains organismes de formation n’ont pas saisi leurs offres, faites-le vite parce que vous allez faire du « B to B » et du « B to C » en même temps. Je sais que c’est une grosse révolution car ça ne s’organise pas de la même façon. On pourra d’ailleurs investi par un accord individuel ou collectif.
Et l’on va aussi découvrir la carte de formation : cela va être un atout pour la puissance publique. On va se rendre compte des points d’accessibilité physique aux formations ; je suis sûre qu’on va découvrir des endroits du territoire où il y a très peu de formations. Cela permettra aux organismes de formation de pouvoir s’y positionner ce qui permettra de rendre la formation accessible sur tout point du territoire.
« La formation en ligne est de plus en plus demandée »
Et il y a évidemment le sujet de la formation en ligne. Elle est très demandée, de plus en plus demandée. Le mix présentiel – tutorat, tutorat à distance, … – cela va créer un appel d’air sur le sujet. On voit déjà que ceux qui font des formations en ligne croulent sous la demande. On va s’intéresser au changement d’échelle de la formation : il faut garder le présentiel pour ce qu’il apporte, mais il ne faut pas hésiter à aller aussi sur des formations en ligne.
« Le CPF est d’abord un droit du citoyen »
Le CPF est d’abord un droit du citoyen, du salarié, du demandeur d’emploi. C’est une capacité pour les entreprises à trouver un vivier de gens motivés et formés. Pour les organismes de formation avec les services de l’Etat, avec le service public au sens large, avec la Caisse des Dépôts, c’est l’occasion de retravailler ensemble sur l’offre, sur l’évolution de la formation. La Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel fait passer d’un plan de formation à un plan de développement des compétences. Vous êtes très engagés dans ces démarches : quelles sont les compétences de demain ? Comment on fait l’ingénierie du développement des compétences ? Cette opportunité, vous êtes nombreux à l’expérimenter.
C’est un enjeu essentiel pour les entreprises aussi. J’y crois vraiment, on le voit sur le CPF aujourd’hui qui est plus rustique et plus difficile l’accès. On voit la majorité des gens aller sur des formations en langues, sur le CACES, sur le numérique. On aura un plus grand vivier de compétences dans le pays. Cela sera une bonne chose pour les entreprises qui cherchent à recruter. Le critère de motivation et d’engagement sera très important. J’insiste aussi sur le fait que les entreprises vont pouvoir innover en faisant du co-investissement individuellement ou collectivement. Il y a des branches en pénurie de main d’œuvre qui réfléchissent à abonder le compte en disant que derrière il les embauche. Ce genre de dynamiques va pouvoir exister, et je trouve cela extrêmement intéressant.
Je pense aussi qu’en termes de Nation, on va porter ce sujet au niveau européen. Par rapport aux grands équilibres géopolitiques et économiques mondiaux, si la France et l’Europe sont des acteurs très forts en matière de compétences, nous serons des acteurs très forts en matière économique, sinon tout le monde voit le risque de la polarisation Chine-Etats-Unis.
C’est une très grande opportunité, j’ai conscience que comme tout changement, ça bouleverse et cela crée des questions. Je suis là pour y répondre. Cette bataille des compétences est pour moi la plus essentielle, la plus structurante pour l’avenir ».
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